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Ayant appris cette réunion, j’y suis venu dans un but tout autre que celui de discourir à l’aventure. Monsieur l’abbé Marcotte a prononcé un mot qui a soulevé des protestations : le mot devoir ! Et ce mot, je veux l’expliquer.

Un silence solennel planait sur l’auditoire, Jules poursuivit :

— Vous connaissez tous l’incident : moi d’abord, Monsieur l’abbé Marcotte ensuite avons été chassés de notre école par Harold Spalding. Moi, par une lettre polie, monsieur l’abbé Marcotte par la force brutale. Et c’est à la suite de cet incident que vous vous étonnez de me voir porter les couleurs britanniques !

— C’est vrai ! émirent quelques voix.

— C’est insensé ! s’écria Raoul Constant.

— Mes amis, reprit Jules avec un sourire à Raoul Constant, après longue réflexion, je me suis dit ceci : « Je pourrais protester, réclamer, exiger des raisons valables, lutter sans trêve contre les ennemis de notre nationalité, user de représailles si possible. Puis je me suis rappelé que Harold Spalding et un grand nombre de ses compatriotes, tous pétris de faux préjugés, critiquent vivement les Canadiens-français de demeurer sourds à l’appel de l’enrôlement volontaire. N’est-ce pas là une cause de leurs attaques plus vives contre nous ? Oh ! je sais bien que tous ces gens ont toujours voulu faire disparaître l’enseignement de la langue française dans cette province d’Ontario. Mais peut-être veulent-ils profiter de l’heure présente pour nous porter le coup d’assommoir ! Nous voyant indifférent à leur politique militaire ce serait leur revanche ! Eh bien ! la mienne, ma revanche, n’est pas un coup de boutoir, c’est ma vie et mon sang que j’offre pour la défense de nos droits communs.

— C’est ridicule ! s’écria encore Constant.

— Le devoir n’est jamais ridicule, riposta Jules. Car c’est sous l’impulsion du devoir que j’ai agi, — un devoir sacré pour moi, comme français d’abord, comme sujet britannique ensuite. Et ce devoir, j’oserai dire qu’il s’impose également à notre race française du Canada. Et je le crois bien, j’en suis tellement convaincu que je suis venu ce soir tenter l’organisation d’un bataillon français.

Des murmures de protestation s’élevèrent. Des voix dirent :

— On ne se battra jamais pour les Anglais !

À l’arrière de la salle un jeune homme se hissa sur un banc et clama d’une voix forte :

— Qu’on nous donne des fusils pour tirer sur les Anglais qui nous embêtent, et non sur les Allemands qui ne nous font aucun mal !

— Bien parlé ! approuvèrent quelques voix.

— Messieurs demanda Jules Marion, à quoi nous mènera la violence ?