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— Maintenant, ma mère, et toi Angèle, annonça-t-il, j’ai grande nouvelle à vous apprendre, ou plutôt, deux grandes nouvelles.

Malgré lui sa voix s’était si subitement altérée que l’aveugle se sentit devenir inquiète.

— Mon Dieu ! fit-elle, j’espère au moins que ce ne sont pas des nouvelles mauvaises ?

— Pas très bonne pourtant, ma mère.

— Ah ! mais voyons, s’écria Angèle, prise elle aussi d’inquiétude, qu’est-ce qui se passe donc ?

— Il se passe simplement que j’ai fini de faire la classe.

Ah !…

Cette exclamation fut jetée en même temps par la mère et la fille.

Angèle échappa son journal.

L’aveugle laissa tomber son tricot sur ses genoux, et, la voix tremblante, dit :

— Jules, tu veux te moquer de nous, n’est-ce pas ? Et ses grands yeux — on eut juré qu’ils faisaient d’inouïs efforts pour percer l’obscurité qui les étreignait — se rivaient sur le jeune homme. Et ces yeux-là, qui ne voyaient pas, réfléchissaient comme de l’épouvante, comme une mortelle anxiété.

— Ma chère maman, ce que je vous dis là, c’est la vraie vérité. La nouvelle Commission des écoles, par l’intermédiaire de son président Harold Spalding, m’a remercié de mes services comme on dit poliment.

— Oh ! exclamèrent les deux femmes stupéfaites.

Jules leur fit part de la lettre qu’il avait reçue, ajoutant qu’il avait, le soir même, envoyé sa lettre de démission telle qu’exigée.

Angèle ne put réprimer ces paroles :

— Ah ! ces orangistes… Comme je voudrais être un homme, Jules, j’en arrangerais à ma façon de ces malappris !

— Angèle, commanda sévèrement l’aveugle, tu t’oublies, ma fille !

— Oh ! il y a trop longtemps que nos hommes s’oublient, eux ! Il y a trop longtemps qu’ils oublient les tracasseries de tous ces gens d’un pays étranger qui viennent nous narguer chez nous !

— Angèle, dit Jules gravement, il ne t’appartient pas de juger nos actes, ou de les attribuer à une faiblesse condamnable. Même chez nous, nous devons subir la loi du plus fort. Mais cela ne veut pas dire que ce plus fort finira par dompter le plus faible ; non, nous sommes une race qui demeure malgré toutes les attaques, qui ne tombe pas sous le choc. Sois tranquille, Angèle, nous avons lutté, nous luttons et nous lutterons encore. Nous parlerons toujours et quand même français.