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bord avec une terrible appréhension, c’était la funèbre liste des morts et des blessés.

Or, un jour, elles avaient lu — Ah ! avec quel choc effroyable !… avec quelle mortelle angoisse ! — que Jules Marion, lieutenant au bataillon St-Louis, avait été sérieusement blessé.

Et depuis — ah ! avec cette inquiétude crucifiante qui croissait de jour en jour — elles avaient attendu une lettre… un mot qui leur apportât la joie de revoir le cher absent, — ou qui les plongeât dans un désespoir de deuil éternel.

Et ce mot… cette lettre tant désirée et tant redoutée à la fois arriva !

L’abbé Marcotte écrivait de longues pages dans lesquelles avec bien des ménagements et toute la délicatesse possible et force réticence il annonçait aux deux femmes éplorées la triste aventure du cher enfant. Mais il n’eût garde de leur dire le monstrueux attentat dont Jules avait été la victime. Il s’était dit tout simplement, le brave abbé : Dieu arrangera cela mieux que moi ! Et il terminait sa lettre en donnant à la mère et à la sœur l’espérance de revoir le pauvre blessé vivant.

Ce fut avec cette espérance qu’elles vécurent des semaines interminables.

Puis, quelque temps, plus tard, une autre lettre — d’une écriture féminine celle-là — apportait une immense joie au cœur de ces deux femmes généreuses.

Violette écrivait en appelant l’aveugle du doux nom de mère et Angèle du tendre nom de sœur comment elle avait juré à Jules de se constituer pour toujours sa gardienne en devenant sa femme. Cette lettre, pleine de poétique candeur, d’éternel amour et d’angélique dévouement, avait ému au plus haut degré les saintes âmes de l’aveugle et d’Angèle.

Dès lors, les semaines devinrent des siècles dans l’attente du retour de Jules, de Violette et de l’abbé Marcotte.

Ce bienheureux jour était enfin venu !

Angèle avait lu dans le journal qu’il y aurait d’abord parade. Cette nouvelle l’avait indignée.

— Maintenant, gronda-t-elle, voilà qu’on veut nous les promener dans les rues comme les bêtes curieuses d’un cirque ! Est-ce que cela a du bon sens ?… Voilà plus d’un an que notre Jules est parti — et quel voyage, Seigneur ! — Or, quand il revient, au lieu de l’amener dans les bras de sa mère qui s’impatiente à en mourir les monstres vont le trimbaler tout le jour à travers les rues.

L’aveugle avait poussé un lourd et profond soupir tandis que ses doigts maniaient distraitement les broches d’un tricot.