Page:Féron - La revanche d'une race, paru dans L'Étoile du Nord, 1927-1928.djvu/299

Cette page a été validée par deux contributeurs.

curiosité. Elle releva son voile qu’elle venait de laisser tomber, et lentement, comme pieusement, elle se prosterna aux pieds de l’abbé qui très ému, faisait d’inouïs efforts pour ne pas pleurer.

— Monsieur l’abbé dit Violette d’une voix si tremblante de larmes qu’elle était à peine distincte, monsieur l’abbé, vous seul — Je le sens, mon cœur me le crie tout haut — vous seul dis-je pouvez décider de mon sort.

L’abbé fit un geste comme pour la relever.

— Non non… de grâce écoutez moi, monsieur l’abbé ! ne me renvoyez pas ! Pourquoi ne pas me donner à Jules, puisqu’il veut être à moi… puisqu’il souhaite que je sois à lui ? Vous ne pouvez pas nous refuser ce bonheur !… Je vous supplie, monsieur l’abbé, à genoux. Ne voyez-vous donc pas que je pleure maintenant ? Mais entendez donc les sanglots qui brisent ma poitrine déjà malade… si malade ! Oui, oui, j’en mourrai, c’est certain… Car j’allais mourir, hier, à l’hôpital, quand à mon âme un dernier espoir est venu ! Cet espoir monsieur l’abbé, c’était vous-même ! Et c’est vous seul à cet heure qui pouvez ou réaliser cet espoir ou me condamner ! Monsieur l’abbé, monsieur l’abbé… vous ne voudrez pas être cause de ma mort ?

Mains jointes, la figure baignée de pleurs et ravagée par la souffrance, Violette à cet instant suprême représentait la Vierge de Douleurs.

— Mademoiselle, dit enfin l’abbé Marcotte, la voix brisée, votre père, seulement, peut décider dans cette affaire. Je ne veux pas me rendre responsable de la terrible malédiction qui pèserait désormais sur votre tête. Comme vous, comme notre cher blessé, je suis désespéré. Je vous aimais déjà, comme j’eusse aimé une fille, mademoiselle… laissez-moi donc vous aimer encore par la vaillance dont vous ferez preuve dans l’affreuse situation où nous met tous la volonté de votre père.

Livide, Violette se releva. Ses regards se promenèrent éperdument autour d’elle. Une sorte de râle tomba de ses lèvres… puis, deux ou trois mots qui semblèrent une imprécation. Elle fit trois pas saccadés vers Jules, s’arrêta, comme indécise, une seconde ; puis elle pivota et chancelante elle marcha sur l’abbé, le repoussa et l’écarta avec une rudesse et une vigueur étranges. Et dans la porte qu’elle allait franchir maintenant elle jeta ces paroles comme avec une sorte de bravade folle :

— Adieu… tous ! Adieu, Jules ! Adieu monsieur l’abbé ! et ces derniers adieux je vous autorise à les porter à celui que l’appelle mon père !

Et elle franchit la porte en éclatant d’un rire amer.