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mon corps mutilé doit inspirer à quiconque le regarde ; quand je me vois une chose incomplète, un être difforme, incapable de voir, de remuer, de marcher, je me demande avec une terrible appréhension s’il est au monde quelqu’un encore qui aura pour moi un peu plus qu’un regard ou une parole de pitié !

— Malheureux ! gronda doucement Violette oubliez-vous votre mère, votre sœur ?

— Pauvre mère !… pauvre sœur !… Ah ! pour elles il vaudrait mieux que je fusse mort… là-bas !

— Jules, reprocha Violette d’une voix très grave, je vous défends de parler ainsi !

— Violette, plus j’y pense, plus j’ai raison, il me semble de parler ainsi. Figurez-vous une pauvre vieille femme, aveugle et de santé débile, pour laquelle il est nécessaire d’avoir des soins attentifs et continus. Imaginez-vous une pauvre fille, un peu infirme elle aussi, vivant seule avec l’aveugle sur laquelle elle veille jour et nuit. Songez à l’éternelle angoisse de cette fille aimant sa mère, songez, Violette, aux inquiétudes mortelles qui assiègent sans cesse cette vaillante fille, lorsqu’elle redoute quelque terrible catastrophe dont elle sera seule à recevoir le contre-coup ! Or, vivant dans cet effroyable état d’esprit, quelle nouvelle et abominable torture pour cette fille, quand elle aura à veiller sur deux aveugles, sur deux êtres impotents ! Ah ! Violette, s’écria Jules avec un râle d’angoisse, il est impossible que Dieu permettre que je double le terrible fardeau que porte si dévotement ma pauvre sœur Angèle !

— Jules, murmura Violette d’une voix pleine de caresses et d’affection, oubliez-vous qu’Angèle ne sera pas seule à supporter ce double fardeau ?

— Violette, s’écria le blessé en serrant très fort la main de la jeune fille, n’est-ce pas une vaine espérance que vous tentez de me donner pour calmer un peu mes tourments ? Ah ! prenez garde !… qui donc, je me le demande, se chargerait de se joindre à ma sœur pour l’aider dans une œuvre ingrate et pénible ?

— Celle, répondit Violette d’une voix tremblante, qui n’a cessé de veiller sur vous depuis trois mois.

— Vous !… balbutia Jules d’une voix frémissante, pendant qu’une rougeur subite envahissait sa figure livide. Vous, Violette ?… Est-ce donc possible que vous ayez encore pour moi, perclus, pauvre infirme, un sentiment qui serait un peu plus que de la pitié !

— Et un peu plus… que dis-je ? beaucoup plus que de l’amitié ! Oui, Jules, c’est moi qui continuerai de veiller sur vous ! Oui, c’est moi qui tâcherai, avec votre sœur, de donner à votre vie future un peu de joie, un peu de bonheur :

— Violette, haleta Jules secoué d’une émotion