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se profonde, je ne désavoue rien. Car je sais — ou mieux, je crois savoir, — que le cœur humain a de ces envolées mystérieuses, puissantes, irrésistibles, qu’on ne peut empêcher. Entre deux âmes bonnes et loyales il est des attraits qu’on ne pourrait arrêter, des liaisons qu’on ne pourrait briser, sans, du coup, briser les vies, sans briser les cœurs. Néanmoins il est pénible de constater que de tels liens se nouent entre des âmes de race étrangère, de croyance religieuse différente surtout. Ah ! mon fils, je ne veux pas décrier celle pour qui ton âme tressaille d’ardente allégresse, non. Je crois Violette tout à fait digne d’être aimé par un garçon tel que toi. Seulement, ce que je déplore, c’est le fait que cette bonne jeune fille soit l’enfant d’un orangiste, d’un ennemi terrible de notre religion et de notre nationalité française. Mon fils, tu aimes Violette non pour sa fortune, j’en suis sûr, mais parce qu’elle est bonne, généreuse et intelligente. Et c’est la première page du livre de la jeunesse, et c’est avec cette page-là en mémoire, au cœur, qu’on s’épouse. Mais survient bientôt l’heure où l’on sent la nécessité de passer à la seconde page. Or, à cette page on trouve des idées contraires aux nôtres, des opinions différentes souvent opiniâtres et récalcitrantes : on y trouve des choses qui nous étonnent d’abord, qui nous froissent et nous mortifient ensuite. Ou des choses qui, de ce moment, prennent toutes nos pensées accaparent tout notre esprit, le fatiguent, aigrissent… Et il arrive que ces choses, dont on souhaiterait ignorer l’existence, il arrive que ces choses produisent la défiance, enfantent le désaccord, amènent la séparation… Bref, c’est le malheur !

— Jules, ajouta l’abbé avec une douce gravité, réfléchis bien tandis qu’il est encore le temps… c’est tout ce que je demande à mon fils adoptif…

Puis, brusquement, comme s’il eût voulu apporter un dérivatif aux pensées douloureuses qui devaient assurément assaillir l’esprit du jeune homme, il poursuivit :

— Mon enfant, je t’ai demandé tantôt ce que tu allais faire, — c’est-à-dire quel sera le but de ta vie désormais ?

À cette question directe. Jules releva la tête, sa physionomie avait déjà revêtu une expression énergique, ses yeux noirs brillèrent d’éclats étranges et il répondit d’une voix :

— Monsieur l’abbé, je ne veux vous répondre immédiatement. Mais avant peu de jours vous saurez ce que j’aurai décidé, et j’ose espérer que vous approuverez ma conduite.

— Ah ! mon cher enfant, tu ne peux redouter un désaveu de ma part, sachant toute la