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— Holà !… Revenez mes amis !… rien ne bougea en haut du ravin.

Il faut croire que l’éclat de rire lugubre de Jules avait terrorisé tout à fait nos deux bons anglais, et que déjà ils étaient hors de portée de la voix du jeune homme, comme du spectre qui leur était apparu.

Pendant quelques minutes, Jules prêta une oreille attentive dans la direction prise par les deux Anglais ; mais bientôt les bruits de la bataille emplirent l’espace d’une sourde et grondante rumeur.

— Allons ! se dit Jules je les ai tout à fait effarouchés. Tant mieux, ma part sera plus large.

Et tout aussi glouton que les deux Tommies il se mit à dévorer à franches dents le déjeuner… à boire à grandes lampées le café réparateur.

Pendant l’heure suivante Jules oublia qu’il existait un monde et que ce monde s’entr’égorgeait ; il oublia — ou du moins n’entendit plus les bruits de la guerre ; il oublia l’hôpital provisoire, la confrontation ; il oublia Violette… il oublia tout… pour ne plus songer qu’à son estomac à sa faim !

Il oublia même que trop manger pourrait lui être fatal !

Il dévora…

Et enfin lorsqu’il se sentit bien repu il s’étonna de l’extrême lourdeur qui l’envahissait peu à peu.

Il avait pensé qu’un tel repas allait lui rendre illico toute son ancienne vigueur toute sa forme. Il s’était trompé : la faiblesse qui le saisissait maintenant lui semblait plus grande que celle de la nuit précédente quand il était tombé.

Puis ses paupières s’alourdirent énormément, sa tête se balança de côté et d’autre.

Maintenant le feu de bivouac le brûlait… il s’en écarta.

Puis en dépit des efforts de sa volonté il se sentit enveloppé par les ombres d’un étrange et puissant sommeil.

Il laissa tomber sa tête lourde sur l’un des havresacs abandonnés par les deux Anglais, et ferma les yeux.

Toute cette journée le sommeil du jeune homme ne fut qu’un long et horrible cauchemar.

Sa figure blême inondée de sueurs se contractait affreusement comme en face de visions fantastiques…

Ses lèvres écumeuses se fendaient de rictus effrayants : c’était parfois une mordante ironie — parfois une prodigieuse terreur…

Son corps évoluait en des soubresauts successifs comme s’il se fût tordu sous les morsures de reptiles affamés… des mots inachevés, des rugissements comme s’il eût voulu crier une horreur ou demander secours.