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Et les deux hommes, en moins d’une heure, eurent fait un déjeuner qui, sans avoir l’apprêt et la succulence des déjeuners de grands hôtels, n’en fut pas moins dévoré de fort bon appétit.

— À présent, dit Harold, après s’être confortablement (le mot est peut-être de trop) étendu près du poêle bienfaisant et allumé un cigare, que prétendez vous faire, mon cher docteur ?

— Une seule chose : arracher Violette à l’amour stupide qui l’enlève à votre affection. Quant à Jules Marion, du moment qu’il déserte la cour martiale, sa culpabilité dans l’esprit des juges, ne présente plus aucun doute, et il se condamne irrémédiablement. Donc, il n’est plus à craindre.

— Mais Violette le sait innocent, de même que cet abbé d’enfer que je regrette de n’avoir pas étouffée là-bas, et le coup monté contre Marion ne fera qu’accroitre l’enthousiasme de ma fille et son amour pour lui.

— Je le sais. Aussi est-il de toute urgence que le hasard ou le diable ne les remette plus en présence.

— Quel est votre avis ?

— Enlever Violette et la ramener au Canada.

— Pensez-vous réussir ?  !

— Je l’espère. Dès ce soir nous nous mettrons en campagne. Violette aura repris son poste à l’hôpital provisoire : c’est là que commencera la vraie besogne. Naturellement, nous devons compter sur le hasard, — à ce bon hasard qui nous sauve d’une mort à laquelle nous n’avions jamais songé, et nous débarrasse en même temps d’un individu qui pouvait devenir dangereux pour notre sécurité.

— Vous voulez parler de ce Monsieur Gaston ?

— Lui-même… J’ai pu, dans la noirceur arriver assez près des officiers pour apprendre qu’on avait relevé deux cadavres : ceux du chauffeur et de Monsieur Gaston…

— Bon débarras, conclut Harold.

Et c’est ainsi que fut dite la deuxième et dernière oraison funèbre de ce pauvre défunt Monsieur Gaston.

Le silence s’était établi entre les deux hommes, chacun s’absorbant dans ses propres pensées, tout en suivant de leurs yeux distraits la fumée de leurs cigares.

Au bout d’un moment, le docteur avisa non loin de lui une petite fiole d’un vert bleu-noir remplie d’un liquide qu’une étiquette spécifiait ainsi : « acide sulfurique. »

Les lèvres du docteur dessinèrent un sourire vague.

— Qu’est-ce ? demanda Harold curieux.

— De l’acide sulfurique… ce qu’on appelle communément vitriol.