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les éclatements d’obus, dans la clameur mêlée aux cris de rage ou d’enthousiasme, aux jurons, aux gémissements des blessés, — dans ce brouillard qui devenait rouge, dans le sang qui coulait tout fumant encore, nos braves se battaient avec un courage et un sang froid admirables, poussant les Allemands vers leurs tranchées.

Le sol se jonchait de casaques grises, — les Prussiens tombaient comme des herbes sous les baïonnettes foudroyantes des Canadiens-Français.

Oui… les Boches tombaient les uns sur les autres, par tas qui allaient grossissant…

Les uns, frappés mortellement, s’écrasaient et demeuraient immobiles conservant sur leurs physionomies leur expression résolue et stoïque ; car c’étaient des braves eux aussi !… Pourquoi ne pas leur rendre cette justice ?…

D’autres, grièvement blessés, — et ils étaient nombreux — roulaient sur le sol où, en d’inouïs efforts, ils tentaient de se redresser pour continuer la lutte.

Et les kakis passaient farouches, triomphants… et dans cette monstrueuse tuerie, dans ses îlots de sang, dans ces tas de chairs rouges fumantes et pantelantes, au sein de l’énorme masse grise gisant inanimée ou se tordant dans les tortures de l’agonie, on ne voyait encore que cinq ou six kakis, morts avec un sourire aux lèvres.

Et les autres avançaient toujours… jusqu’au moment où les Prussiens tombaient dans leurs retranchements… jusqu’au moment où les mitrailleuses allemandes vomissaient un déluge de balles… jusqu’au moment où l’artillerie boche commençait à faire pleuvoir sur nos compatriotes une avalanche de fer et de feu.

Et dès lors les kakis tombèrent à leur tour…

Un instant Raoul Constant s’arrêta pour promener autour de lui un regard scrutateur.

Ce qui restait de sa compagnie venait de se grouper autour de lui — une cinquantaine au plus, déchirés, sanglants, farouches…

Raoul eut un geste sublime en désignant la tranchée ennemie garnie de mitrailleuses qui semaient la mort.

L’élan fut foudroyant…

La seconde suivante tous se ruaient dans la tranchée boche où commençait une nouvelle lutte corps à corps. Au premier choc, Raoul Constant était embroché par une baïonnette allemande ; et déjà une seconde baïonnette allait lui percer le cœur peut-être, quand une crosse de fusil voltigea, tournoya… Un vide se fit autour de Raoul qui demeura tout émerveillé de voir Jules Marion se servant de son fusil comme d’une cognée.

— Merci Jules !… cria Raoul qui, trop blessé pour reprendre la lutte, se crispa aux pa-