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On l’avait vu sortir de l’ouragan de fer et de feu sans une égratignure…

Et puis, on avait été témoin de la merveilleuse adresse, avec laquelle il avait apporté les premiers soins aux blessés.

Ce moine ne parlait à personne ne regardait personne ; on ne savait à quelle nationalité il appartenait ni à quelle communauté. L’abbé Marcotte, interrogé au sujet de l’ordre religieux que pouvait représenter le Moine Noir, avait répondu qu’il n’en connaissait aucun portant ce costume.

Ce moine, on le voyait, non seulement sur les champs de bataille et dans les tranchées saccagées, mais on le voyait encore aux ambulances, aux hôpitaux… partout, enfin, où les secours de la chirurgie, et de la religion étaient requis.

Du côté des Alliés, c’était un allié.

Pourtant, les Boches, qu’on disait n’avoir de respect pour rien de ce qui touchait de près ou de loin aux Alliés, — qui fusillaient tout ce qui n’avait pas un caractère germanique… enfants, femmes, vieillards, infirmiers, blessés, — enfin, tout ce qui vivait, tout ce qu’ils pouvaient tuer, — chose singulière — ce Moine Noir, ils semblaient le respecter.

Souvent, comme ce matin de décembre, on l’avait vu passer à portée des fusils allemands, et pas un coup de feu n’avait éclaté.

Une fois, dans les premiers jours, un soldat d’un bataillon anglais était sorti de la tranchée sur un pari ; et, rampant, il était allé remettre en ordre quelques fils de fer que des obus avaient dérangés.

Or, une détonation avait retentit quelque part du côté des tranchées allemandes, et une balle avait blessé assez grièvement l’imprudent qui demeurait exposé à tous les dangers.

Alors, comme par magie, comme sortant de sous terre, on avait vu le Moine Noir paraitre, s’avancer droit et imperturbable vers le blessé, le soulever dans ses bras, et le ramener au milieu de ses camarades ébahis, sans que les Allemands qui avaient assisté à cette scène, n’eussent tiré un seul coup de fusil.

Nous avons dit que ce moine ne regardait personne. Erreur : il avait en deux occasions regardé étrangement un kaki : c’était Jules Marion.

Jules s’était trouvé deux fois sur le passage du moine énigmatique, et chaque fois le Moine avait jeté sur Jules un regard brillant, étrange, — un regard sous lequel Jules avait frissonné involontairement.

Et le moine s’était ensuite perdu dans les ruines d’un village voisin.

Ce matin là, Jules Marion se rappelait les regards du Moine Noir, et il en frissonnait encore.