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braves, qui ne se lassent jamais de réparer les dégâts, d’étançonner, de renforcer.

Ils se relayent par groupes : car il faut bien prendre haleine, ne pas s’épuiser entièrement, conserver des forces pour tenir tête à l’ennemi qui, d’un moment à l’autre, pourrait surgir.

Il fait presque noir dans la tranchée : une bougie fichée dans une niche répand une tremblotante et blafarde lueur sur un groupe de kakis en train d’étançonner une paroi qu’un obus allemand vient de démolir.

Raoul Constant et Jules Marion sont en tête d’une vingtaine de camarades, tous armés de bêches et de pioches.

Les uns remettent au dehors la terre qui vient de glisser au dedans. Les autres ajustent des pièces de bois contre les parois pour les soutenir. D’autres empilent des sacs de sable.

Tous travaillent avec une ardeur incomparable, la sueur au front, le sourire aux lèvres, lançant, entre deux éclatements d’obus, quelque bon mot ou quolibet qui amène un éclat de rire général que couvre aussitôt une détonation vibrante, plus rapprochée ; et cette détonation est suivie d’une pluie de terre et de cailloux qui viennent crépiter sur le parapet comme une mitraille de fer.

— Voilà une marmite remarqua Constant, qui n’a pas crevé à cent milles de nous !

— Pourvu qu’il n’en vienne pas nous tomber en plein dessus, fit un grand et pâle jeune homme qui, la pelle au repos, essuyait d’un revers de main son front inondé de sueurs.

— Jusqu’à ce moment, mon vieux Marcil, dit Jules Marion avec un sourire, tu peux te vanter d’avoir pour le moins profité de cette guerre…

— En quoi donc ?

— En apprenant le métier de terrassier répondit Jules.

— Je m’en vanterai peut-être un peu plus tard… si j’en réchappe.

— Bah ! s’écria négligemment le lieutenant Constant tu as quatre-vingt dix-neuf chances sur cent…

— De m’en vanter ?… sourit moqueusement celui que Jules Marion avait appelé Marcil.

— Non, grosse bête, d’en réchapper ! répliqua Constant en riant.

— Quatre-vingt dix-neuf sur cent !… la marge est forte.

— Mais non… puisque c’est le deuxième obus seulement, qui vient de nous faire une omelette.

— Et sans casser les œufs encore ! s’écria un autre.

— Seulement, riposta Marcil en reprenant sa pelle, la troisième omelette pourrait fort bien se faire avec nos os !