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LA PRISE DE MONTRÉAL

l’épaule, ces constructions qui semblaient désertes. Et Lambruche, entouré de quelques miliciens, se tenait attentif près du plus gros canon, celui qui devait servir à défendre la Porte du Marché, mais dont la gueule bourrée à mitraille menaçait l’immeuble de Lady Sylvia.

Maurice D’Aubières, la mine fière et confiante, parut accompagnée de Mirabelle non moins radieuse que son fiancé.

Le jeune chef, que le peuple acclamait à grands cris, grimpa sur le toit d’une bicoque voisine.

— Canadiens, clama-t-il, c’est aujourd’hui ou jamais que vous devez faire valoir les vertus de votre race ! L’épreuve, du reste, ne sera pas aussi dure et cruelle qu’on aurait été porté à le présager, car je vous annonce que le général américain, avec six cents de ses meilleurs soldats, est notre prisonnier !

Un formidable vivat fit trembler l’espace.

— Vive notre pays ! cria d’une voix retentissante Mirabelle qui se tenait près de Lambruche.

— Mort aux Américains ! rugit la mère Ledoux qui, mêlée à la foule, brandissait un fusil.

Un tumulte joyeux éclata. Des chants patriotiques s’élevèrent dans l’espace. Des musiques se firent entendre. Les cloches des églises et des couvents se mirent à carillonner joyeusement.

Mais des voix en courroux ne cessaient de crier :

— Mort aux Américains !

Et ces voix finirent par dominer tous les autres bruits, puis bientôt les cloches se turent, les chants cessèrent, et tout le peuple hurla :

— Mort aux Américains !

Lambruche sauta sur son canon, fit un grand geste à ses miliciens et commanda d’une voix terrible :

— Aux barils de poudre !

Et Lambruche sauta aussitôt à bas de son canon et courut, suivi de cinquante volontaires, à une pile de barils de poudre placée à quelques pas de l’immeuble de Lady Sylvia. Lambruche saisit le premier pour aller le déposer contre les murs de la maison de commerce, et les autres volontaires prirent chacun un baril. D’Aubières, toujours calme et serein, sur le toit de la bicoque, ne s’opposait pas au massacre qu’on allait faire. Pourquoi ? Il devait avoir une idée ! N’importe !

Déjà Lambruche et ses compagnons s’avançaient vers l’immeuble avec leurs terribles barils, lorsque, soudain et comme s’il fût descendu du ciel, un homme parut sur le toit de la bicoque à côté de Maurice D’Aubières.

Un long frémissement secoua tous les spectateurs de cette scène, le silence se fit de toutes parts et l’on vit les deux hommes sur le toit, face à face, silencieux, mais se jetant l’un à l’autre un regard de défi.

Lambruche, avec son baril de poudre dans les bras, regardait ces deux hommes, mais surtout l’inconnu, et paraissait changé en statue de pierre. Une jeune fille, tenant le bras d’un vieillard et pincée au premier rang des curieux, s’élança jusqu’à Lambruche, lui désigna l’inconnu sur le toit avec Maurice et murmura à son oreille quelques paroles. Cette jeune fille était Mirabelle. Le capitaine sourit, puis déposa sur le sol son baril, tandis que Mirabelle rejoignait son père. Le peuple, la respiration en suspens, regardait et attendait.

Lambruche alla à un milicien, lui prit son fusil, le porta à son épaule et mit en joue l’homme qui, sur le toit de la bicoque, faisait face à Maurice D’Aubières. Mais celui-ci vit le geste du capitaine. Vivement il leva une main en signe de protestation. Lambruche grommela un juron, maugréa, mais ne tira pas.

L’inconnu, alors, sourit candidement. Puis avec une assurance parfaite il s’avança au bord du toit, croisa les bras et prononça ces paroles d’une voix nette et claironnante :

— Canadiens, je vous apporte la liberté !

Aussitôt un long murmure de stupeur courut par la foule et ce nom passa de bouche en bouche :

— Montgomery… Montgomery…

Mais aussitôt aussi plusieurs fusils du sein de la foule furent braqués sur l’audacieux général américain. Mais un seul partit et sa balle traversa le tricorne de Montgomery. D’Aubières venait de clamer d’une voix tonnante :

— Bas les armes !

Montgomery n’avait pas bronché. Enlevant son feutre il salua la foule. Puis tout à coup, sans transition, il jeta d’une voix terrible :

— Soldats de la liberté, apprêtez vos armes !

On eût dit qu’un magicien venait de jouer de sa mystérieuse baguette : les volets clos de l’immeuble de Lady Sylvia furent poussés, et chaque fenêtre encadra dix soldats américains qui pointèrent leurs fusils sur la foule. Puis des hangars voisins surgirent deux régiments de fusiliers américains qui, l’arme