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LA PRISE DE MONTRÉAL

détournez pas l’œil de ces constructions et attendez mes ordres !

Certain d’être obéi, il s’en alla toujours au pas de course, frapper à la porte de l’Auberge de France.

L’aubergiste vint ouvrir. Il sourit largement au capitaine qu’il connaissait.

— Je veux parler à Monsieur Maurice ! dit Lambruche rudement.

— Il est couché, capitaine, mais je vais le réveiller.

— Non, répliqua Lambruche. Je monte à son appartement.

— Comme vous voudrez, capitaine.

Lambruche connaissait les aîtres. Il traversa une grande et belle salle et gagna un escalier qui le conduisit à l’étage supérieur.

Il frappa violemment dans une porte.

— Qui va là ! demanda la voix de Maurice.

— Lambruche !

— Minute, j’ouvre !

La minute d’après, D’Aubières ouvrait sa porte, disant :

— Mon cher ami, je m’étais couché tout vêtu. Quoi de nouveau ?

— Presque rien, répondit négligemment le capitaine en s’asseyant par terre le dos à une cloison. Silencieusement il bourra son calumet et l’alluma à la flamme d’une bougie que lui présenta Maurice. Il fuma une minute ou deux. Maurice, qui le connaissait, attendait qu’il lui plût de s’expliquer.

— Monsieur, dit enfin Lambruche, vous êtes allé cette nuit porter un message au brigadier Livingston ?

— Ah ! ah ! tu as appris l’histoire, se mit à rire le jeune homme. N’est-ce pas un bon tour, mon ami, que nous avons joué à Monsieur Montgomery ?

— Ou que Monsieur Montgomery vous a joué ? fit le capitaine avec un sourd ricanement.

D’Aubières tressaillit.

— Ah ! ça, Lambruche, je pense que tu n’as pas assez dormi ?

— C’est possible, Monsieur. Mais ne vous occupez pas de moi. Ce message trouvé par Ledoux, est-ce que ça ne vous semble pas comme si le général américain l’aurait laissé tomber par exprès ?

— Pourquoi cette question ? demanda Maurice avec surprise.

— Vous allez le savoir, monsieur ; venez avec moi !

Il se leva et sortit de la chambre, marchant d’un pas rapide et lourd.

Maurice le suivit sans oser l’interroger davantage. Il marchait derrière le capitaine, inquiet et curieux à la fois. La nuit s’achevait, et les pâles clartés de l’aube commençaient à blanchir l’horizon.

Lambruche conduisit Maurice jusqu’à la barricade de la rue Saint-Pierre. Là, il grimpa sur la barricade et fit monter le jeune homme près de lui.

— Regardez ! dit-il.

Il indiquait la rue Saint-Paul, l’immeuble de Lady Sylvia et les hangars près de . Et Maurice regarda. Il regarda avec le plus fol étonnement. Et il vit couchés sur la chaussée blanche de gelée deux cent cinquante miliciens… mais des miliciens qui ne dormaient pas ! Puis il vit encore trois canons braqués contre la maison de commerce de Lady Sylvia et aperçut des barils de poudre entassés tout près.

— Qu’est-ce que tout cela veut dire ? demanda-t-il avec effarement.

— Cela veut dire, monsieur, que les Américains sont cabanés dans ces constructions et que je les ai fait cerner.

— Quels Américains ?

— Ceux de Montgomery, qui, vers les quatre heures, sont entrés dans la ville par la Porte du Marché.

Et au jeune homme abasourdi il narra ce qu’il avait surpris, ajoutant :

— Monsieur, c’est le bon Dieu qui m’a conduit ici, et sans ce miracle nous serions tous calés comme des imbéciles !

— Mais alors les Américains n’ont pas regagné leur pays ?

— Vous le voyez bien, monsieur. Ce message voulait dire tout le contraire. Faut avouer que c’était bien joué. Aussi j’en avais le pressentiment, et c’est pourquoi je voulais garder ce Montgomery. Heureusement, le tour n’aura pas réussi tout à fait… et il ne réussira pas le moindrement, je vous le jure. Car, voyez-vous, si demain ça ne va pas à mon goût, je fais sauter toutes ces sacrées baraques avec les Américains qui sont dedans !

— Et combien y en a-t-il de ces Américains ?

— Je n’ai pas pu les compter. Mais j’estime qu’il y en a bien cinq ou six cents.

Maurice D’Aubières garda le silence un moment, réfléchissant. Puis, vivement il saisit une main de Lambruche, la serra avec effusion et murmura :

— Merci, mon ami, tu nous sauve tous ! Je me suis laissé sottement rouler par monsieur Montgomery. Décidément, c’est un beau lut-