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LA PRISE DE MONTRÉAL

côté de la rue Saint-Paul et bloquant l’entrée de la ruelle qui conduisait au marché, un gros canon de fer était monté sur son affût et chargé jusqu’à sa gueule qui menaçait la porte.

L’un des trois personnages rompit le silence.

— Lady Sylvia, murmura-t-il, la solitude qui nous entoure et le silence qui plane de l’autre côté de ces murs me font douter de la réussite de mon stratagème : voyez vous-même, si Livingston avait mal interprété mon message ?

— J’espère que Dieu nous favorisera ! soupira avec inquiétude la jeune femme.

Montgomery sourit et se tourna vers le troisième personnage, demandant :

— Qu’en pensez-vous, Harrisson ?

Le major, ainsi interpelé, secoua ses épaules et répliqua :

— Monsieur, s’il arrivait ce que nous ne voulons pas, c’est-à-dire si vos troupes ont plié bagage, pour nous il ne nous resterait plus qu’à fuir à l’instant. Car je sais que jamais Carleton ne nous pardonnera.

— Nous fuirons, dit Montgomery ; mais nous reviendrons plus tard et plus nombreux et mieux armés. Mais, bah ! qu’avons-nous à perdre notre temps en vaines craintes et futiles hypothèses ? Je vais donner le signal, et nous verrons bien !

Il prit à ses pieds une petite pierre de forme carrée et y attacha à l’aide d’une ficelle un chiffon de toile blanche sur lequel ces mots étaient écrits en anglais :

« Êtes-vous prêts ? »

Puis il lança ce projectile par-dessus les remparts.

Tous trois prêtèrent l’oreille attentivement. Ils ne purent entendre la chute de la pierre de l’autre côté où le silence continua à régner. Ils s’entre-regardèrent tous trois, anxieux et tremblants. Rien ne bougeait.

Ils attendirent, les yeux levés vers la crête du mur. Cinq longues minutes s’écoulèrent. Puis tous tressaillirent d’un joyeux émoi : quelque chose de blanc volait dans l’espace, par-dessus le mur, puis cette chose touchait le sol avec un bruit mat.

Lady Sylvia eut toutes les peines à retenir une exclamation de triomphe.

Déjà Montgomery avait relevé le projectile qu’il reconnut pour la même pierre avec son chiffon de toile, qu’il avait lancé quelques minutes auparavant. Vivement il déplia le chiffon, et à sa plus grande joie, il lut ce mot : « Oui », écrit au bout des autres mots : « Êtes-vous prêts ? »

Alors Montgomery regarda avec fierté Lady Sylvia et le major anglais et dit :

— Livingston m’a bien compris… il est là !

Sans plus il sauta de l’autre côté de la barricade, courut à la porte et il fit tomber les trois barres de fer qui la verrouillaient en dedans et l’ouvrit.

De l’autre côté, quatre régiments américains étaient rangés en silence, l’arme à l’épaule, comme à la parade. Le brigadier Livingston se tenait debout près de la porte.

— Général, nous voici ! prononça-t-il.

— Bien, dit Montgomery. Vous allez me laisser ces quatre régiments. Vous dirigerez les autres demain, s’il y a lieu. N’oubliez pas d’installer un camp solide à la Longue-Pointe… faites-en même une forteresse ! Il se peut qu’il n’y ait point bataille, mais il importe de prendre toutes nos mesures. Allons ! ordonnez à vos hommes de passer à la file, promptement et sans bruit.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Comme cinq heures sonnaient le dernier soldat américain s’engouffrait sous l’immeuble de Lady Sylvia. La porte du Marché était refermée et bientôt la même solitude et le même silence y régnaient. Puis Montgomery donnant le bras à Lady Sylvia, suivi par le major Harrisson, reprit le chemin de la cité.

Le général américain disait :

— On peut dire, sans présomption, que la partie est à nous !

— Oui, la victoire nous est assurée, général, répliqua Lady Sylvia. Ah ! se mit-elle à rire doucement, quel bon tour à D’Aubières !

— Pauvre garçon, sourit Montgomery, il est loin de se douter en effet qu’il nous livre cette ville qu’il veut tant défendre !

— Et Mirabelle, général, fit Lady Sylvia avec un rictus de haine satisfaite, l’oubliez-vous ?

— Non ! non !… pauvre fille aussi ! Pourvu qu’elle n’en fasse pas une crise mortelle…

Ils se perdirent dans la nuit et vers le centre de la cité.

XV

UN BON TOUR EN VAUT UN AUTRE


Lambruche, sur la Place du Marché, avait dit à ses hommes :