Page:Féron - La prise de Montréal, 1928.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.
57
LA PRISE DE MONTRÉAL

seconde le coup de pistolet partait, et Cardel, et non Lambruche, atteint d’une balle dans la nuque s’affaissait dans une mare de sang. Cardel était mort.

Les volontaires venaient d’enfoncer la porte extérieure et se précipitaient dans le vestiaire en poussant des cris. À la vue de Lambruche, sain et sauf, ils se calmèrent…

Alors le capitaine voulut leur désigner Lady Sylvia… La jeune femme n’était plus là !

— Fouillez la maison ! commanda Lambruche.

Les volontaires se dispersèrent par toute la maison.

Devant le cadavre de Cardel, le capitaine se disait :

— Voilà une mort à laquelle il ne s’attendait certainement pas, le pauvre diable : se faire tuer par sa maîtresse qui voulait le défendre ! C’est égal… voilà bien une histoire qui me fera rire le reste de ma vie !

Et il se mit à ricaner sourdement en bourrant son calumet.

Lorsque dix minutes plus tard ses hommes vinrent l’informer que toutes les pièces de la maison étaient désertes, Lambruche esquissa une grimace de désappointement et dit, sur un ton bourru :

— C’est clair comme le jour que Lady Sylvia avait une porte secrète pour sortir. Allons ! plus rien à faire… marche !

Le bataillon quitta les lieux sans s’occuper du cadavre de Cardel.

Il était deux heures et demie.

La ville reposait depuis plus d’une heure et partout s’était fait le silence. Mais voilà qu’au moment où Lambruche avec son bataillon quittait la maison de Lady Sylvia s’élevait un grand brouhaha du côté des fortifications, puis des cris de joie envahissaient l’espace, et des coups de feu éclataient. En moins de cinq minutes toute la cité se retrouvait sur pied, et à nouveau la nuit s’emplissait de clameurs. Mais ni colère ni effroi dans ces clameurs… de la joie !

Qu’est-ce que cela voulait dire encore ?

Lambruche commanda le pas accéléré. Mais peu après des citadins annonçaient à tue-tête que les troupes américaines avaient abandonné leur campement et, avec armes et bagages, reprenaient la route de leur pays. La ville était sauvée !…

Lambruche n’en pouvait croire ses oreilles.

Sur la Place du Marché le peuple, réuni pour la cinquième ou la sixième fois ce jour-là, venait de rallumer le bûcher, et tout autour l’on criait, riait et dansait. Les miliciens se mêlaient au peuple. Tous les postes des remparts avaient été abandonnés, on avait même défait quelques barricades dont les pièces servaient à alimenter le feu du marché. Les miliciens jetaient leurs fusils devenus inutiles. À quoi bon s’encombrer du flingot, les Américains s’en allaient !

Lorsque Lambruche arriva sur la Place, la foule y était si compacte qu’il dût s’arrêter. Le franchir eût été impossible, car cette foule formait un véritable mur que le canon eût eu peine à démolir. Plus loin, et trop loin de lui, sur une estrade élevée à la hâte et autour de laquelle s’agitait bruyamment la populace, on découvrait les silhouettes de Maurice et de Mirabelle… Mirabelle toute radieuse. Maurice faisait de grands gestes pour commander le silence. Enfin, le peuple se calmait.

— Amis canadiens, criait D’Aubières, le général Montgomery, prisonnier en nos murs, a donné ordre à son armée de reprendre le chemin de la frontière !

Des hourras éclataient.

Puis Maurice pouvait encore se faire entendre pour narrer en peu de mots comment Mirabelle avait porté la dépêche de Montgomery au brigadier Livingston.

La population se mit à acclamer Mirabelle à grands cris. Puis elle acclama D’Aubières… le Canada… le roi Georges… l’Angleterre.

Quelqu’un ayant prononcé trop haut le nom de Montgomery, toute la masse hua le nom.

— Qu’on trouve le général américain, cria un artisan d’une voix de stentor et qu’on le jette par-dessus les remparts afin qu’il aille rejoindre ses fuyards !

Maurice parvint à calmer une fois encore le peuple pour lui dire :

— Canadiens, maintenant que tout danger est disparu, il n’est que juste que nous prenions un peu de repos. Mais demain, après la sainte messe, nous célébrerons dignement cet événement !

On approuva ces paroles en tempête.

Malgré les explications données par Maurice, Lambruche ne semblait encore rien y comprendre.

— Je pense que tout ce monde est fou, grommelait-il à part lui, et Monsieur Maurice aussi. Les Américains partis… repartis pour leur pays… ça, quand on est venu de si loin pour prendre des villes et un pays ?