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LA PRISE DE MONTRÉAL

affaire, je me demande s’il y aurait là un manque à la loyauté ?

Cette suggestion captieuse de l’Américain fouetta le sang fougueux de Mirabelle.

— Hé ! s’écria-t-elle, que parlez-vous de neutralité, général, et comment osez-vous nous proposer un tel compromis ? La neutralité est la part des indifférents, des timides et des lâches, et nous ne sommes point des indifférents, ni des timides, ni des lâches !

Montgomery rougit légèrement, puis se mit à rire.

— Je vois, mademoiselle, que rien ne vous fera abandonner une cause perdue à l’avance et je le regrette pour vous et votre pays. Il me fera chagrin de détruire si belle ville et de tuer si loyaux sujets. Mais la guerre ne connaît pas la pitié, ses lois sont implacables, et, vous le savez, même avec les meilleures intentions et les sentiments les plus humains, nous serons entraînés à commettre des actes de barbarie et de vandalisme. Monsieur d’Aubières, ajouta-t-il en se levant, dois-je repartir ainsi que je suis venu, sans une entente ?

— Général, l’entente se fera par les fusils et les canons !

— Et par le sang et le feu ! ajouta Montgomery sur un ton menaçant. C’est bien.

Il fit une pause, pour reprendre, souriant et la voix suave :

— Mademoiselle, je m’excuse de vous avoir retenue jusqu’à une heure aussi indue…

Il s’inclina respectueusement.

Mirabelle exécuta une froide révérence, et le général marcha fièrement vers la porte. Mais il s’arrêta, Lambruche tenait braqué sur lui la gueule d’un pistolet et avançait en même temps la pointe de sa rapière.

— Place, Lambruche ! commanda d’Aubières sur un ton sévère.

— Non, Monsieur, dit Lambruche. Vous avez dit : « Lambruche, il faut s’emparer du général… » et j’ai dit oui. Je tiens parole.

— Je retire ce que j’ai dit, Lambruche.

— Moi, je ne retire pas ma rapière, et si le général fait un pas encore, je tire mon pistolet.

Montgomery avait pâli. D’Aubières frémit, et Mirabelle, inquiète de la tournure que pouvaient prendre les choses, se suspendit au bras de son fiancé. Quant au père Ledoux et sa femme, tous deux demeuraient rivés à leurs sièges et béants toujours.

— Capitaine, gronda Montgomery, j’ai oublié de vous dire que cent hommes à moi et bien armés sont devant la porte de cette maison. et qu’au premier signal ils feront irruption,

— Oui, mais à ce signal vous tomberez mort, général ! Voyons, donnez ce signal…

Et Lambruche, froidement, pressa doucement sur la détente de son pistolet.

Montgomery devint plus pâle, et regarda d’Aubières et Mirabelle.

Lambruche semblait demeurer inébranlable, et cette fois ses yeux sournois et perçants étaient bien ouverts, et ces yeux-là guettaient Montgomery.

Mirabelle alla à lui.

— Lambruche, dit-elle avec douceur et un sourire angélique, monsieur Montgomery est un gentilhomme. En venant ici il s’est fié à nous, et ce serait acte de lâcheté de le tuer ou de le retenir prisonnier… Fais place, Lambruche !

— C’est bien, mademoiselle, grogna le capitaine, je vous obéis, parce que je ne suis pas un lâche.

Il remit son pistolet à sa ceinture, sa rapière au fourreau, fit le salut militaire, s’effaça et dit :

— Passez, général. Mais, demain, gare !…

Montgomery sourit, traversa le passage et ouvrit la porte et sortit, D’Aubières l’accompagna jusqu’à cette porte.

Le général avait dit vrai : cent hommes armés étaient rangés sur la chaussée, lesquels présentèrent les armes.

— À demain, monsieur ! prononça Montgomery.

— À demain, général ! répondit d’Aubières sur un ton résolu.

XIII

MYSTÉRIEUSE MISSIVE


D’Aubières, en rentrant dans la cuisine des Ledoux, dit vivement à Lambruche :

— Mon cher ami, vous avez entendu Montgomery : « que Cardel et Lady Sylvia à la tête de leurs partisans pourraient, demain, être armés contre nous » ? Eh bien ! Lambruche, il faut arrêter Cardel et Lady Sylvia.

— C’est bien, monsieur, je vais les arrêter ! répondit le capitaine. Et sans plus, il sortit.

Maurice se tourna vers Mirabelle.

— Et vous, mon aimée, il faut retourner au domicile de votre père où je vais vous accompagner. Vous avez besoin de repos.