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LA PRISE DE MONTRÉAL

vous le comprenez, nous n’avons pas seulement le devoir de défendre notre pays parce que nous l’aimons, mais aussi notre loyauté nous commande de combattre les ennemis de l’Angleterre qui envahissent sa colonie.

— Certes, Mademoiselle, vos arguments sont irréfutables du point de vue où vous vous placez. J’admets que l’honneur vous dicte votre devoir ; mais ce devoir n’est plus une loi d’honneur dès que s’impose une force majeure.

— Vous voulez dire la force armée ! corrigea encore Lambruche sur un ton flegmatique.

— Soit, admit Montgomery en souriant. Donc, devant la force armée vos devoirs n’existent plus.

— Comment l’expliquez-vous ? demanda D’Aubières.

— En ce sens que votre intérêt vous commande de ne pas vous opposer à cette force armée que je conduis.

— N’oubliez pas, dit encore Lambruche, que votre armée est sans chef, car vous êtes ici et non là !

— Ah ! ça, capitaine, fit Montgomery avec un léger mouvement d’impatience, dois-je à la fin vous dire que mon armée viendra demain à mon secours en prenant la ville ?

Lambruche se contenta de hausser les épaules.

— Monsieur D’Aubières, poursuivit le général, et vous, Mademoiselle Chauvremont, vous aimez votre pays, mais vous aimez surtout votre ville ; alors est-il sensé que vous l’exposiez à être réduite en cendres, après qu’un grand nombre de vos concitoyens auront été menés à la boucherie ? Certes, nous voulons bien respecter vos maisons et vos temples ; mais si vous prenez les risques d’un bombardement et d’un long siège, peut-être, de votre cité il ne pourra rester que des ruines. Qu’aurez-vous gagné alors ?

— Nous avons la certitude, général, répliqua D’Aubières, de vous repousser hors de nos parages.

— J’admire votre courage et plus encore votre confiance. Depuis le peu de temps que je suis en vos murs j’ai constaté que votre population possède un splendide moral. Mais j’ai découvert également que vous n’avez pas ou peu de moyens de défense.

— Nous avons des fusils et des munitions ! grommela Lambruche.

— Pour lutter deux jours, trois jours au plus ! sourit Montgomery.

— Pour lutter jusqu’à la mort ! riposta Lambruche.

— Bravo, capitaine ! s’écria Montgomery. Voilà ce que je peux appeler du beau courage. Mais après la mort, nous serons les maîtres de la ville !

— Non, gronda Lambruche, puisque nous nous ferons tuer pour la défendre !

— Mais nous la prendrons quand même !

— Oui, vous aurez pris des cendres et des cadavres, et qu’aurez-vous gagné à votre tour ?

— Tout ce pays, capitaine ; car le reste ne tiendra pas, une fois Montréal en nos mains. Et puis, une ville se relève… Mais passons. Vous semblez dépendre beaucoup, Monsieur D’Aubières, sur vos moyens de défense, mais vous paraissez oublier qu’un tiers de votre population est de notre côté et que ce tiers pourra prendre les armes contre vous ?

— Est-ce vous qui leur donnerez des armes ?

— Pourquoi pas ? Nous voulons la ville, Monsieur, et nous l’aurons !

Cette fois Montgomery avait perdu son sourire, et sa voix résonna avec une énergie redoutable.

— C’est bien, dit D’Aubières, le sort des armes décidera !

Montgomery demeura un moment pensif, observant à la dérobée Mirabelle qui, du coin de l’œil, le regardait aussi. Disons ici qu’il répugnait à Montgomery de raser la ville, attendu qu’il redoutait par cette destruction de se mettre à dos tous le peuple du pays. Au bout d’un moment il sourit gracieusement à la jeune fille et lui dit :

— Nous pourrions, Mademoiselle, si nous nous en donnons la peine, trouver une base d’entente. Vous plaidez loyauté envers l’Angleterre, et vous avez raison, sans compter que votre amour pour votre pays vous justifie déjà amplement pour vous opposer à nos desseins. Mais avec nous votre amour du pays est toujours le même, là il ne saurait y avoir rien de changé. Quant à votre loyauté à l’égard de l’Angleterre, il serait facile de faire disparaître votre scrupule. Mettons par exemple, que vous adoptiez le parti de la neutralité dans cette