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LA PRISE DE MONTRÉAL

pas à ce que je vous en fasse les honneurs de l’hospitalité.

En même temps elle indiqua le père Ledoux et sa femme qui, les yeux énormément arrondis, béants, bras pendants, demeuraient stupides d’étonnement. Ils commençaient à penser qu’ils étaient en train de faire un rêve extraordinaire, et tout ce qui se passait depuis quelques minutes leur apparaissait comme un conte des anciens.

La jeune fille et Maurice prirent place côte à côte sur un banc rustique.

— S’il en est ainsi dit le général en souriant aux deux époux de plus en plus figés, ces dignes gens voudront bien nous permettre de nous entretenir…

La fumée qui s’échappait du calumet de Lambruche fit tousser le général. Il se détourna légèrement et regarda Lambruche toujours assis par terre contre le mur. Les yeux fermés, la physionomie impassible, le capitaine fumait avec la même sérénité qu’un indien sous son wigwam…

— C’est le capitaine… Lambruche ! fit D’Aubières en riant.

Lambruche ouvrit les yeux.

— Ah ! ah ! partit de rire le général à son tour. Enchanté, capitaine…

Il se leva, la main tendue vers le milicien.

— Pardon, général, dit Lambruche, de sa voix traînante et sans se déranger, demain, quand nous vous aurons battus, nous nous donnerons la main, pas avant !

— J’en suis fâché, répliqua Montgomery, et j’aurai le regret de n’avoir pu serrer la main d’un brave, car je doute fort que nous soyons battus.

Lambruche souffla un nuage de fumée au plafond et riposta :

— Moi, général, je ne doute pas, je suis certain !

Montgomery, quelque peu décontenancé, se rassit. Puis, de nouveau, il regarda l’ouvrier et sa femme.

Maurice devina que la présence de ces deux personnes gênait l’Américain.

— Je devine, général, dit-il que vous aimeriez mieux que nous fussions seuls, mais ce sont de nos amis pour qui nous n’avons point de secrets. Je vous prie donc d’avoir confiance en eux comme en nous.

— C’est bien, monsieur D’Aubières, je vous crois. Asseyez-vous, mes braves, commanda le général d’une voix bienveillante mais autoritaire.

Très confus, Ledoux et sa femme obéirent automatiquement.

Un silence suivit. Montgomery paraissait rassembler ses idées et les coordonner.

Lambruche s’étira, bâilla et grommela :

— C’est moi, peut-être, qui suis de trop ?

— Pas du tout, capitaine, répondit Montgomery, restez !

— En ce cas, général, je garde la porte.

Il s’appuya du dos à la porte, tira sa rapière, arma sa main gauche d’un pistolet et ferma les yeux.

— Ah ! ça mon ami, s’écria Montgomery avec surprise, croyez-vous qu’on vienne nous attaquer en cette maison ?

— Non, je ne pense pas, général. Seulement je prends mes précautions pour que vous n’en sortiez point.

— Ah ! vraiment ?

— Vous êtes mon prisonnier, général ! répondit seulement et froidement Lambruche.

XII

MONTGOMERY


Le général américain sourit placidement. Pas le moindre trouble n’avait paru sur les traits calmes de son visage. Il croisa une jambe sur l’autre, et d’une voix basse, douce, persuasive, mais dans l’accent de laquelle on sentait vibrer une âme pleine d’énergie et de volonté, il commença :

— Mes amis, n’allez pas croire que je sois venu uniquement pour accomplir quelque folle bravade. Ma présence ici, à mon avis, était nécessaire, et j’ai pris les moyens pour entrer dans la maison à votre insu, et par conséquent à l’insu de tout le voisinage, de même qu’à l’insu de votre population je suis entré dans votre ville.

— Parce que des traîtres vous ont ouvert une porte ! prononça D’Aubières avec un accent sarcastique.

— Vous voulez dire, monsieur, de mes partisans ? Soyons justes, monsieur D’Aubières : j’appelle traître celui ou celle qui par serment s’est engagé à servir une cause ou un parti, et qui, pour une raison ou pour une autre, déserte ensuite la cause qu’il a juré de servir. Or, ceux qui m’ont ouvert les portes de la cité, je vous prie de le croire, servaient précisément la cause qu’ils ont embrassée.

Maurice et Mirabelle échangèrent un