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LA PRISE DE MONTRÉAL

exposer ainsi ! reprocha doucement Mirabelle.

— Pensez-vous que les balles ça me fait peur ? Oh ! non. Je vous dis que je serai là aussi avec Sévère. Si je n’ai pas de fusil, j’y serai pour encourager nos hommes.

Mirabelle sourit. Elle embrassa la brave femme et lui murmura à l’oreille :

— J’y serai également, bien que mon père me l’ait défendu.

— Ah ! je savais bien que vous étiez aussi une brave et bonne fille.

L’entrée soudaine de Lambruche coupa court à cet entretien.

— Monsieur, dit-il à Maurice en s’asseyant sur le plancher, le dos au mur, il n’y a pas d’Américains dans la ville.

— Bon ! fit D’Aubières avec soulagement. Mais en es-tu sûr ?

— Eh bien ! répliqua le capitaine en hésitant… s’il y en avait, on les trouverait.

— Quant à moi, tout ce que je peux affirmer, intervint Mirabelle, c’est que j’ai vu le général Montgomery… mais je n’ai vu que lui…

— Chez Lady Sylvia ? interrogea D’Aubières.

— Oui.

Un silence se fit durant lequel le jeune chef demeura méditatif. Puis tout à coup, il marcha à Lambruche et lui posa une main sur l’épaule. Il allait parler, donner un ordre peut-être, lorsqu’un certain bruit se produisit dans le passage qui, de la cuisine, conduisait à la porte de sortie.

Tous prêtèrent l’oreille.

— Qu’est-ce ? demanda Mirabelle avec inquiétude et en se rapprochant de Maurice.

— Ce n’est rien, dit Lambruche. C’est peut-être la porte que j’aurai mal fermée et qui se sera ouverte.

— Va donc voir, Sévère ! dit la mère Ledoux à son mari.

Celui-ci marcha vers la porte du passage au moment où Maurice disait à Lambruche :

— Mon ami, il faut nous emparer de Monsieur Montgomery…

À cette minute même, et comme Ledoux s’apprêtait à pousser la porte, cette porte s’ouvrit comme d’elle-même, encadrant la fine stature du général américain. Oui, c’était Montgomery, toujours serein et souriant.

Le père Ledoux faillit tomber à la renverse. Mirabelle fit entendre une exclamation de surprise. La mère Ledoux fixa ses deux poings à ses hanches, et D’Aubières recula de plusieurs pas et porta sa main à la garde de son épée. Enfin, Lambruche, demeuré assis par terre, leva le nez avec nonchalance, le rabaissa, alluma son calumet et se mit à fumer silencieusement.

Et le silence qui régna pour une minute ou deux fut si grand qu’on put entendre battre tous les cœurs.

Montgomery franchit tout à fait la porte qu’il referma doucement, enleva son tricorne, s’inclina courtoisement devant Mirabelle, et, regardant Maurice :

— Monsieur D’Aubières, prononça-t-il gravement, si vous désirez vous emparer de Montgomery, le voici…

Et il reprenait son sourire tout en considérant avec beaucoup d’admiration Mirabelle qui chancelait près de Maurice.

Et celui-ci n’avait pas encore trouvé une réponse, que le général américain reprenait, en s’adressant cette fois à Mirabelle :

— Mademoiselle, j’ai été très désappointé tout à l’heure. J’avais précisément quelques affaires à discuter avec vous ainsi qu’avec Monsieur D’Aubières. Je me suis présenté chez Monsieur Chauvremont où un domestique m’a informé de votre absence. Mais le hasard m’a fait rencontrer un volontaire canadien qui m’a indiqué le chemin de cette maison.

Mirabelle, comme statufiée par la stupeur, ne répondit pas. Elle regarda Maurice.

— Général, prononça celui-ci d’une voix frémissante, je dois vous déclarer que je vous trouve d’une belle audace…

— Prenez garde, monsieur, interrompit finement Montgomery, de me donner des qualités qui sont les vôtres !

D’Aubières sourit et reprit tout à fait possession de lui-même.

— S’il en est ainsi, général, ou plutôt s’il est vrai que vous désirez nous entretenir, mademoiselle et moi, nous sommes à vos ordres.

— Bon ! bon ! sourit le général avec un air de grande satisfaction, on m’avait assuré que je trouverais près de vous la plus parfaite courtoisie, on ne m’a pas trompé.

— Général, dit à son tour Mirabelle qui se sentit gagnée par les belles manières de l’Américain, voici un siège. Ce n’est pas ma maison, comme vous le savez, mais je crois que ces braves gens ne s’opposeront