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LA PRISE DE MONTRÉAL

— Est-ce que je savais ? J’y suis donc allé…

— Tu ne devais pas y aller !

— Je le regrette bien maintenant.

— On prévient le mal, c’est plus sûr !

— Laisse-moi finir, Mirabelle, veux-tu ?

— Si c’est pour mieux me tromper…

— Non. Lady Sylvia avait aposté Cardel…

— Cardel… tu dis Cardel ?

Et la jeune fille, à ce nom, avait violemment sursauté.

— Quoi ! es-tu plus mal ? demanda anxieusement Maurice.

— Non ! non ! Mais tu as dit Cardel…

— Oui. Eh bien ?

— C’est lui qui est venu me dire que je te trouverais chez Lady Sylvia.

— L’infâme.

— Mais il a dit vrai.

— Oui, après m’avoir fait prisonnier.

— Pourquoi ne t’es-tu pas défendu ?

— À mon insu Lady Sylvia m’avait pris mon épée.

— Après avoir pris ton cœur ?

— Malheureuse, gémit Maurice, tu croiras donc toujours. Ah ! Si tu m’avais vu enfermé dans cette chambre sans issue, les mains liées derrière mon dos, une porte cadenassée devant moi et de l’autre côté de cette porte deux factionnaires armés jusqu’aux dents…

— Il fallait les tuer !

— Les tuer ? Avec quoi ? J’étais impuissant. Et tu dis que Cardel…

— Oh ! s’écria tout à coup Mirabelle avec un geste de fureur, est-ce qu’il m’aurait trompée lui aussi ?

— Qu’a-t-il dit ?

— Qu’il avait abandonné le parti de Lady Sylvia pour se joindre à nous.

— Ah ! ricana narquoisement D’Aubières, et tu l’as cru ?

— D’abord.

— Et tu ne me crois pas, moi ?

Mirabelle le regarda longuement et elle le vit si triste, si désespéré, si sincère, qu’elle commença de voir au travers de toute cette intrigue dont elle avait été la victime.

— Maurice, s’écria-t-elle avec ardeur, je t’aime et tu le sais, et je ne suis pas jalouse. Mais j’ai compté sur ton amour comme tu pouvais dépendre du mien. Alors j’ai été bien malheureuse. Ah ! ce que j’ai souffert… tu ne le sauras jamais…

— Pauvre Mirabelle ! fit tendrement le jeune homme en la caressant avec affection.

— Alors, je me suis réfugiée à l’église, et là j’ai prié. Et veux-tu savoir ce que j’ai dit à Dieu ? Que si tu m’avais abandonnée, je me consacrerais désormais tout à son service.

— Mais je ne t’ai pas abandonnée !

— Écoute, Maurice. Je t’aime, oui ; mais si tu désertais notre cause, je ne t’aimerais plus… jamais !

— Tu sais bien que j’aime trop mon pays…

— C’est bien, je te crois. Je te crois, parce que j’entends au fond de mon cœur une voix que me le commande.

— Ah ! Mirabelle, quelle joie tu me donnes enfin !

Maurice pressa les mains de la jeune fille contre ses lèvres.

Elle sourit pour la première fois. Ses regards alors se fixèrent comme avec surprise, sur le père Ledoux et sa femme qui étaient demeurés spectateurs silencieux de cette scène. On eût dit que la jeune fille ne faisait que de s’apercevoir de leur présence. Elle alla à eux.

— Madame… monsieur… balbutia-t-elle… Ah ! je vous connais, je crois…

L’ouvrier et sa femme s’inclinèrent, émus.

— Lambruche m’a souvent parlé de vous… Maurice aussi. Ils m’ont dit combien vous êtes de braves gens… combien vous aimez votre ville et votre pays.

— Oh ! mademoiselle, répliqua la mère Ledoux la voix tremblante d’émotion, on est bien peu de chose, Sévère et moi, mais pour son pays on est tout là. N’est-ce pas, Sévère ?

— Oh ! pour ça, oui, Mademoiselle, répondit l’ouvrier. Là-dessus ma femme sait ce qu’elle dit. Pour ma part, demain, je tiendrai le flingot sans broncher !

— Et s’il y a des fusils de r’lais assura la mère Ledoux d’une voix ferme, je serai là aussi.

— Mais vos enfants, madame ? fit Mirabelle, émerveillée.

— Oh ! les pétards je les confierai à ma voisine, elle n’a que deux poupons et elle a du cœur.

— Mais vous n’avez pas le droit de vous