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LA PRISE DE MONTRÉAL

— Mirabelle !…

Elle jeta un cri sourd et voulut s’enfuir. Mais un homme la saisissait brusquement, l’enserrait de ses deux bras et l’embrassait avec amour en murmurant :

— Mirabelle ! Mirabelle ! entends moi !…

C’était Maurice.

L’endroit était si obscur que les deux fiancés ne pouvaient se reconnaître qu’au son de leurs voix.

La jeune fille ne répondit pas, mais Maurice sentit qu’elle s’abandonnait lourdement dans ses bras. Non loin de là passait un volontaire brandissant une torche.

— Ohé ! cria le jeune chef, approche ici !

L’homme à la torche accourut et ne put réprimer une exclamation d’étonnement en reconnaissant D’Aubières d’abord, et Mirabelle ensuite.

— Mon ami, dit D’Aubières, elle est évanouie. Éclaire-moi, si tu veux, jusqu’à la maison de Ledoux, c’est à trois pas d’ici.

Le volontaire ne se fit pas prier. Quelques minutes plus tard Maurice pénétrait avec son fardeau chez les Ledoux. Lambruche était là. La mère Ledoux, à la vue de la jeune fille évanouie, poussa des hauts cris. Ces cris eurent pour effet de tirer Mirabelle de sa syncope. Elle jeta autour d’elle un regard étonné. Puis brusquement elle dit :

— Que faites-vous donc ici vous autres ? Ne savez-vous pas que les Américains sont dans la ville ?

Maurice frémit violemment.

— Mirabelle, dis-tu vrai ?

— J’ai vu le général Montgomery chez Lady Sylvia.

— Montgomery… gronda D’Aubières.

Il courut aussitôt à Lambruche.

— Lambruche, commanda-t-il d’une voix impérative, aux portes ! aux poternes ! Empêche qui que ce soit de sortir ! Cinquante hommes… cent hommes à chaque porte s’il faut, va !

Lambruche se précipita hors de la maison. En quelques minutes la nouvelle circula par la ville que Montgomery était dans les murs de la cité. Mais où étaient ses soldats ? Pour obéir aux ordres de Maurice transmis par Lambruche, tout le peuple et les volontaires coururent aux portes de la ville pour empêcher qu’on en sortit. Bientôt, il ne resta plus qu’un poste à établir, et c’était à la poterne qui faisait vis-à-vis à la rue Saint-Pierre. Lambruche y conduisait dix militaires. Or, à cet instant, un homme s’avançait vivement dans l’ombre vers cette poterne. Mais voyant venir dans sa direction une escouade de militaires, il s’arrêta comme indécis d’abord, puis il rebroussa chemin, et se perdit aussitôt dans la noirceur. Or, cet homme, disons-le, c’était Montgomery qui, en apprenant que l’ordre avait été donné de garder toutes les issues de la cité, avait voulu reprendre le chemin de son camp. Il était arrivé deux minutes trop tard… Il était prisonnier dans la ville !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Chez les Ledoux, Mirabelle avait tout à fait repris possession de ses facultés mentales. Son corps, cependant, demeurait très las à cause de fatigues sans nombre qu’elle lui avait imposées. Mais sous les émotions diverses qui assiégeaient encore son cœur et au souvenir des derniers événements, elle restait sombre et comme réfractaire. Maurice D’Aubières essayait de la convaincre qu’elle avait été trompée par Lady Sylvia et Cardel ? Ledoux et sa femme, un peu à l’écart, demeuraient muets et tristes.

Parfois, Mirabelle essuyait furtivement une larme trop prompte à quitter sa paupière.

— Était-il possible, ma Mirabelle aimée, que tu me crusses coupable de trahison ? disait D’Aubières penché sur elle.

— Oh ! si je ne t’avais pas vu avec Lady Sylvia… répliquait Mirabelle, la voix plus pleine de sanglots mal contenus.

— Mais tu aurais dû t’imaginer de suite que tout cela était une odieuse comédie jouée par cette femme ! Ah ! Mirabelle, je puis te le jurer sur l’Évangile : j’ai repoussé avec colère les avances de cette comédienne, et cela est si vrai que, dépitée et furieuse, elle m’a renfermé dans ma prison. Lambruche te le dira, puisque c’est lui qui m’a délivré !

— Si je pouvais te croire… balbutiait la jeune fille.

— Mais la trahison même de Lady Sylvia, qui fait entrer Montgomery en notre ville, ne prouve-t-elle pas ma loyauté ?

— Qui m’assure que tu n’as pas aidé cette femme ?

— Folle ! Lady Sylvia m’avait donné rendez-vous pour une affaire importante…

— Son amour qu’elle voulait t’offrir !