Page:Féron - La prise de Montréal, 1928.djvu/48

Cette page a été validée par deux contributeurs.
46
LA PRISE DE MONTRÉAL

des munitions. Demain, Madame, je vous…

— Ah ! demain… demain… clama tout à coup une voix frémissante de femme… Demain, ajouta la voix, Lady Sylvia sera morte !

Montgomery venait de se retourner avec surprise. Il vit une belle jeune fille armée d’un pistolet marcher vers Lady Sylvia…

Et Lady Sylvia, debout et livide, voyait venir la mort !

Cardel, après s’être dressé, demeurait statufié.

Mais Montgomery fit un bond et, enleva à la jeune fille son pistolet…

Elle, alors, comme si elle eût vu cet étranger pour la première fois fit un pas de recul, et demanda avec étonnement et colère :

— Qui êtes-vous, Monsieur ?

— Mademoiselle, je suis Richard Montgomery !

— Montgomery !…

Ce nom éclata comme du verre sur les lèvres de la jeune fille.

À ce moment, Lady Sylvia s’approchait et, très ironique, disait :

— Général… je vous présente Mademoiselle Chauvremont !


XI

TRAHISON !


Pour une minute la surprise sembla clouer sur place les quatre personnages de cette scène. Montgomery considérait avec une admiration extatique Mirabelle… Mirabelle qu’il trouvait cent fois plus belle, plus gracieuse, plus séduisante que Lady Sylvia. Et pourtant la jeune fille était loin, à cet instant presque tragique, d’user et de mettre en œuvre les charmes séducteurs de son sexe. Elle était là debout et farouche, terrible même, les yeux étincelants, les lèvres frémissantes, le sein effroyablement agité. Et ses yeux étincelants, elle les dardait sur Lady Sylvia, et dans ces yeux-là il y avait tant de haine que la jeune femme se sentit mal à l’aise. Mais ainsi, telle qu’elle était, Montgomery la trouvait sublime.

Mirabelle, à la fin, ayant repris haleine, gronda ses paroles à l’adresse de Lady Sylvia :

— Oh ! vous qui avez accusé Maurice D’Aubières d’être un traître, n’est-ce pas vous plutôt qui avez accompli la trahison ? N’est-ce pas cet homme (elle indiquait Cardel) qui s’est fait un agent de la trahison ? Oh ! malheur sur vous tous ! Malheur sur vous, Lady Sylvia, qui m’avez pris mon fiancé ! Malheur sur vous, Cardel, qui avez ouvert les portes de notre ville à…

Elle s’interrompit net en posant son regard brûlant sur le général américain qui ne perdait rien de son sourire poli et candide.

La jeune fille fit un pas de recul. Un hoquet parut se briser dans sa gorge, puis, bondissant soudain en arrière, elle courut à la porte qui était demeurée ouverte et disparut en laissant flotter derrière elle le faible bruit d’un sanglot.

Montgomery s’élança à sa suite avec le dessein de la retenir et d’avoir avec elle quelques explications. Il arriva à la porte trop tard. Mirabelle s’était déjà ruée dans la nuit noire et, courant vers la cité elle criait de toute la force de sa poitrine :

— Trahison ! Trahison ! Trahison !

Sur la rue Saint-Jacques où Mirabelle s’était engagée, du peuple armé de fusils s’agitait en clamant avec ivresse :

— Vive Maurice D’Aubières ! Sus aux Américains !

Haletante, interdite, Mirabelle s’arrêta net pour écouter, pour essayer de comprendre. Mais comprendre le pouvait-elle ? Elle ignorait les nouveaux incidents qui venaient de se passer.

Elle interrogea des passants qui joyeusement expliquèrent :

— Quoi ! vous ne savez pas ? D’Aubières nous a trouvé des fusils, des munitions… oui des fusils qui appartenaient à Lady Sylvia.

Mirabelle frémit longuement et comme si sa pensée lui eût échappé dans le tumulte de son cerveau sans comprendre encore elle poursuivit son chemin. Elle allait d’un pas incertain, pensive, désorientée, gardant au cœur une douleur si aiguë qu’à tout moment elle en croyait mourir. Elle ne semblait rien voir ni rien entendre. Et cependant la rue devenait plus bruyante et à la lueur de falots qui se croisaient en tous sens on pouvait voir aller et venir d’innombrables formes humaines. Des voix acclamaient encore D’Aubières.

Soudain à l’oreille de la jeune fille une voix bien connue prononça tendrement ce nom :