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LA PRISE DE MONTRÉAL

Sylvia, que je n’avais pas eu l’avantage de connaître, était jolie, je dois avouer de suite que sa beauté est plus exquise que je ne l’aurais pu imaginer, et j’avoue aussi qu’aucune femme de nos provinces n’a autant de grâce ni autant de fraîcheur !

Il souriait doucement en la considérant presque avec extase.

Fière de l’éloge et rougissante, Lady Sylvia eut bien l’envie de rendre le compliment. Car il était beau ce jeune général américain. Grand, mince, élégant, il attirait de suite le regard de la femme. Son haut front, un peu mat peut-être, reflétait la mâle audace et l’énergie. Ses yeux, doux, quoique inquisiteurs, brillaient d’effluves ardents. Sa bouche mince était rouge et elle conservait presque constamment un sourire bienveillant. Sa voix était assurée et digne et son langage très soigné. Et il y avait beaucoup de distinction dans toute sa personne, bien que, cette nuit-là, il fût très modestement vêtu d’un habit d’étoffe rude et sombre. Il portait à son côté gauche la rapière. Sa culotte était protégée par des cuissières faites de peau de buffle, et il portait de hautes bottes éperonnées. Tel qu’il apparaissait il avait bien plus l’air d’un guerrier que d’un courtisan de salon. Mais l’uniforme de soldat ne déguisait nullement les manières aisées du gentilhomme.

Lady Sylvia le fit asseoir et appela une servante à qui elle commanda d’apporter des fruits, des gâteaux et du vin.

— Ainsi, dit le jeune général, il est décidé que nous devrons prendre la ville par les armes ?

— Hélas ! général, nous avons tout fait pour induire la population à livrer la ville. Ah ! si ce n’eût été, ajouta-t-elle avec une sourde colère, de ce D’Aubières et de cette Mirabelle Chauvremont…

— Monsieur D’Aubières, interrompit le général, est un jeune homme d’une loyauté admirable, et je serai certainement enchanté de lier connaissance avec lui. On dit aussi, Madame, qu’après vous, Mademoiselle Chauvremont est la plus jolie de la cité ?

— Elle est assurément fort jolie, général.

— Décidément, s’écria Montgomery avec ravissement, je suis content de me trouver en si bonne et belle ville. Ah ! madame, il me fera mal de jeter en ses murs le feu et le fer ! Nous venions, mes soldats et moi, tendre une fraternelle poignée de mains, et il se trouve qu’il faudra, au contraire, tendre l’épée. Au lieu de paroles d’amitiés et d’heureux souhaits, nous échangerons des cris de guerre et des imprécations, et seuls les canons auront voix prépondérante. C’est dommage pour cette brave population canadienne, pour ses jolies femmes, pour ses magnifiques édifices. Néanmoins, Madame, je vous l’assure, nous tâcherons d’épargner le plus possible les temples et les édifices importants. Mais il me faut la ville…

— Oh ! vous l’aurez, général… dussions-nous vous y aider les armes à la main !

— J’apprécie déjà grandement l’aide que vous m’avez donnée jusqu’à présent. Avez-vous donc un autre concours à m’offrir ?

— Certainement, celui de combattre à vos côtés !

— Vraiment ? vous avez donc des armes ?

— Huit cents fusils et des munitions…

— C’est magnifique !

Le heurtoir de la porte se fit entendre.

— Voici notre ami Cardel qui revient.

Lady Sylvia s’excusa pour aller ouvrir.

Oui, c’est bien Cardel… mais Cardel, tremblant et la physionomie méconnaissable.

— Qu’avez-vous donc ? s’écria avec surprise Lady Sylvia.

— Oh ! vous ne pourriez le deviner…

Et, avec une expression de sombre découragement, Cardel se laissa choir sur un divan.

— Allons ! Monsieur, parlez ! commanda sévèrement le général américain.

— Général, répondit d’une voix hachée Cardel, nous avions pour vous aider des fusils et des munitions…

Lady Sylvia jeta une clameur de colère et de désespoir, et, comme si elle allait s’évanouir, s’affaissa sur un fauteuil.

Montgomery se précipita vers elle et essaya de la réconforter.

— Allons ! Madame, ne vous découragez pas. Je vous en prie, reprenez votre énergie !…

— Ah ! général, si vous saviez… Ces fusils et munitions, je les avais achetés de mes propres deniers dans l’espoir d’être utile à votre cause, et demain ces armes seront tournées contre nous… contre moi !

Montgomery se mit à rire doucement.

— Courage, Madame ! Demain s’il est nécessaire je vous procurerai des fusils et