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LA PRISE DE MONTRÉAL

que demain ce Lambruche ne sera plus vivant !

Minuit sonnait…

— Minuit ! cria Lady Sylvia en sursautant. Et le général qui va nous attendre… ajouta-t-elle avec inquiétude.

— C’est juste, dit Cardel, nous serons en retard. Vite, passez une mante ! D’ailleurs, le moment est plus propice que je l’avais espéré. Le peuple a déserté les fortifications, et ni soldats, ni miliciens ne surveillent les portes et poternes. Que se passe-t-il encore d’extraordinaire ? Je ne le sais pas, mais bientôt j’irai aux nouvelles. Voyez-vous, tout à l’heure le vacarme partait de la Place du Marché ; à présent on l’entend venir d’un point plus haut que la rue Notre-Dame.

— Moi, gronda sourdement Lady Sylvia, je devine un peu ce qui se passe : D’Aubières rentre dans la faveur du peuple !

— Qu’importe ! Demain il tombera sous nos balles ! prononça froidement Cardel.

— Qu’avez-vous donc décidé ?

— D’armer avec les fusils que nous possédons ce qui nous reste de partisans et, avec les soldats qui sont de notre côté et qui feignent de demeurer loyaux à Carleton et D’Aubières, prêter main-forte aux Américains.

— La guerre civile !… murmura Lady Sylvia en tressaillant.

— Avez-vous de meilleurs moyens ? ricana Cardel.

— Non c’est vrai. Eh bien ! nous songerons à cela plus tard. En ce moment, Monsieur Montgomery nous attend. Allons donc sans plus tarder le recevoir ; lui, d’ailleurs, nous conseillera.

Ils sortirent tous deux et gagnèrent les fortifications du bord de l’eau. Ils ne s’aventurèrent pas à traverser la Place du Marché, au cas où il y serait demeuré des groupes de citadins. Ils enfilèrent une étroite ruelle qui longeait l’église paroissiale et allait aboutir à la rue St-Paul. De là ils se dirigèrent vers la poterne qui faisait face à la rue St-Pierre. Mais pour arriver jusque-là ils durent escalader trois ou quatre barricades. Tout était désert, et la poterne face à la rue St-Pierre, n’avait pas encore été barrée, attendu qu’on s’en était servie jusqu’à une heure avancée pour charrier l’eau dont on avait rempli les puits de la cité.

Une fois devant la poterne, nos deux personnages s’arrêtèrent.

— Pourvu qu’il soit venu ! souffla Lady Sylvia.

— Nous allons voir.

Ce disant, Cardel ramassa une pierre avec laquelle il heurta trois fois le panneau de fer de la poterne.

Une demi-minute se passa. Puis de l’autre côté trois coups semblables à ceux de Cardel furent frappés.

— Il est là ! murmura joyeusement Cardel.

Lady Sylvia soupira avec allègement.

Avec beaucoup d’efforts Cardel parvint à faire jouer le panneau de la poterne et à l’ouvrir. Une ombre humaine était là debout tout près de l’ouverture, et de l’autre côté du fossé on pouvait distinguer confusément une dizaine d’autres silhouettes humaines. L’inconnu dit à voix basse à ces silhouettes :

— C’est bien, mes amis… à demain !

Les silhouettes s’éclipsèrent silencieusement. L’homme inconnu alors franchit la poterne.

— Bonsoir, Lady Sylvia ! prononça cet homme d’une voix jeune et ardente.

— Oh ! général… c’est donc vous ? murmura la jeune femme.

— Moi-même, Madame, et je m’empresse de vous féliciter, ainsi que vous mon cher Cardel.

Et le général Montgomery serrait doucement les mains de la jeune femme dont il n’entrevoyait, dans l’obscurité, que la forme vague. Cardel refermait pendant ce temps la poterne. Peu après les trois personnages gagnaient silencieusement et d’un pas hâtif la cité. À la rue Notre-Dame, Cardel s’arrêta.

— Général, dit-il, permettez-moi de vous laisser avec Lady Sylvia, il importe que j’aille m’informer de ce qui se passe là-bas.

— Allez, Monsieur, répondit le général américain. Je suis certain que ma seule protection suffira à Lady Sylvia.

Et tandis que l’émissaire des américains s’éloignait d’un côté, Lady Sylvia entraînait Montgomery vers sa demeure.

Lorsque le général américain pénétra dans la maison de la jeune femme et qu’il put enfin voir nettement sa compagne, il la regarda avec une grande admiration et dit galamment :

— Madame, on m’avait assuré que Lady