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LA PRISE DE MONTRÉAL

fracas terrible devant la porte de la maison.

— Maurice, cria désespérément la belle femme… on brise ma porte ! Je vous dis que c’est Cardel ! Oh ! venez… venez…

Le jeune homme, troublé, et croyant que Cardel venait peut-être pour le faire tuer, suivit cette fois Lady Sylvia. Elle le reconduisit à la chambre où il avait été prisonnier durant une heure.

— Encore une fois, Madame, dit le jeune homme avant de s’aventurer volontairement dans la chambre, vous me promettez…

— Je vous promets… je vous jure… souffla Lady Sylvia.

Elle le poussa dans la chambre et referma vivement la porte. Puis, fébrilement, elle fouilla son corsage, tira une petite clef et fit jouer la serrure du cadenas.

Tout à coup, derrière elle, une voix narquoise prononça :

— Pardon Madame ! Mais je vous prie de m’enfermer aussi dans cette chambre !

La jeune femme jeta un faible cri, se retourna d’une pièce et se trouva face à face avec Lambruche qui souriait niaisement.

— Lambruche !… Oh ! Lambruche… s’écria follement, éperdument Lady Sylvia.

— Pour vous servir, Madame, répliqua ironiquement le milicien, une fois que vous aurez fait tomber ce cadenas et ouvert cette porte !

La jeune femme ne voyait que le capitaine. Il était là seul. Les miliciens, dont elle ignorait la présence dans sa maison, étaient demeurés en bas sur l’ordre de leur officier. Lambruche demeurait debout devant la jeune femme, bras ballants et toujours dans sa posture nonchalante. Lady Sylvia, obéissant à son tempérament impétueux, tira promptement son stylet et en leva la lame contre la gorge du capitaine. Celui-ci, non moins promptement, saisit le poignet de la jeune femme et le serra à le briser. Le stylet tomba.

— Madame, dit froidement Lambruche, je regrette de serrer ainsi si fragile main… Mais que voulez-vous ? on a sa peau à sauver comme les autres !

Puis, sans façon, il arracha de la main gauche de la jeune femme la clef du cadenas. Lady Sylvia lui lança un regard farouche et terrible.

— Descendez, Madame, commanda le capitaine, je n’ai nul besoin de vos services !

Et, sans plus, Lambruche ouvrit le cadenas et poussa la porte.

— Lambruche ! cria Maurice avec joie.

— Monsieur !…

D’Aubières se jeta dans les bras de son ami.

— Allons, Monsieur, dit ce dernier ému, venez… le chemin est libre !

— Oh ! Lambruche… que se passe-t-il ? Que se passe-t-il ?…

— Vous le saurez, Monsieur !

— Et Mirabelle… Mirabelle ?

— Vous le saurez, Monsieur ! Venez, le temps presse !

Lady Sylvia avait disparu.

Les deux hommes descendirent au rez-de-chaussée.

Dans le vestiaire les volontaires du capitaine attendaient paisiblement.

— Allons, en marche ! commanda Lambruche. Nous allons chez le père Ledoux !…

X

UNE VISITE NOCTURNE


Le père Ledoux et sa femme venaient de rentrer en leur logis, découragés tous deux et maudissant la traîtrise de D’Aubières, lorsque Lambruche parut accompagné de celui même contre qui s’élevaient tant de malédictions.

— Ah ! bien pour l’amour du bon Dieu ! s’écria la commère avec ahurissement, est-ce un revenant qui nous arrive ?

— Pas tout à fait, ma brave femme sourit Maurice, mais presque. Et grâce à notre ami Lambruche nous pourrons, demain, nous battre contre les Américains.

La mère Ledoux et son mari demeuraient béants, stupides.

— Voyez-vous Mme Ledoux, expliqua Lambruche, je savais, moi, que c’étaient des cancans de nos ennemis tout ce qui se radotait par la ville ; car Monsieur était le prisonnier. Alors, je suis arrivé à temps, parce que peut-être bien qu’on l’aurait tué.

La mère Ledoux pleurait d’émotion.

— Que le saint nom du bon Dieu soit béni ! balbutia la brave femme. Et je gage, Monsieur Maurice, que c’est la Sylvia qui vous a fait prisonnier ?

— Et son acolyte, Cardel, répondit D’Aubières. Mais ce fut ma faute, ajouta-t-il