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LA PRISE DE MONTRÉAL

tite troupe devant la maison toujours silencieuse et sombre de Lady Sylvia.

— Maintenant, mes amis, attention ! commanda Lambruche. Silence, surtout !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

En dépit de toutes les tactiques de la séduction, Lady Sylvia n’avait pas réussi à corrompre D’Aubières après l’avoir pris entièrement dans ses filets. Le jeune chef avait en effet réussi, avec l’énergie qui trempait son caractère, à se soustraire au poison distillé par cette comédienne. Il s’était tout à coup levé, disant :

— Madame, je vous en prie, donnez-moi ma liberté !

— Soyez à moi ! cria Lady Sylvia avec colère. Alors, je vous donnerai votre liberté.

— Madame, vous le savez, je ne m’appartiens plus.

— Certes, puisque vous m’appartenez, ricana avec une ironie cruelle la jeune hyène.

— N’oubliez pas, Madame, que, si je le voulais, je pourrais fort bien reprendre ma liberté… Qui m’en empêcherait ?

— Moi ! répondit froidement la jeune femme.

Maurice se mit à rire.

Le tumulte qui à nouveau s’élevait par la ville apportait ses échos jusqu’à ces deux personnages. Maurice reprit :

— Entendez-vous, Madame ? On a découvert un complot contre notre parti, ma disparition a été signalée, on se doute que je suis tombé dans un traquenard et l’on me cherche. Tout à l’heure, Madame, prenez-y garde ! trois ou quatre bataillons de mes volontaires assiégeront votre maison.

À son tour Lady Sylvia partit de rire.

— Mon cher ami, dit-elle, ne souhaitez pas que des bataillons de vos volontaires viennent à ma maison, car s’ils venaient, ce serait pour vous mettre à mort.

— Vous êtes folle, Madame ! s’écria Maurice avec un commencement d’impatience et de révolte.

— Folle d’amour ? Peut-être, Maurice D’Aubières ! Mais je suis assez sensée pour reconnaître que ces clameurs du peuple sont des imprécations contre vous, car ce peuple vient d’apprendre que vous l’avez déserté et trahi.

— Ah ! ah ! ah ! se mit à rire lourdement D’Aubières, je me doutais de cette infamie. Madame, vous êtes admirable. L’affaire, décidément, est fort bien agencée. Eh bien ! s’il en est ainsi, j’exige que vous me rendiez de suite ma liberté, car je veux aller me défendre et vous dénoncer !

— Vous ne sortirez pas !

— Non ?

— Vous seriez tué sur le seuil de ma porte !

— Par vous ?

— Non… par des hommes de Cardel !

— Des hommes payés par vous ?

— Non ! Non ! Maurice D’Aubières… je dis que je t’aime, et c’est pourquoi je ne veux pas que tu meures.

À la fin, Maurice commençait à croire que l’amour de cette femme était vraiment sincère.

— Si vous m’aimez, Madame, et ne voulez pas que je meure, donnez-m’en une preuve !

— Quelle preuve voulez-vous, Maurice ? Votre liberté, peut-être ?

— Justement !

— Soit, répondit gravement la jeune femme, je vous promets cette liberté. Mais tout à l’heure… car à présent, si je vous laissais sortir, je le répète, vous iriez à la mort…

Tout à coup Maurice tressaillit et murmura :

— Madame, écoutez, je vous prie !

Tous deux firent silence, et Lady Sylvia, à son tour, tressaillit et pâlit. Un bruit de voix et d’armes heurtées s’était fait entendre devant la maison. Mais ce bruit n’avait pas duré. Maurice écoutait encore, haletant.

Soudain, le marteau de la porte retentit lourdement.

La jeune femme saisit vivement une main de Maurice et souffla avec énervement et inquiétude :

— Venez ! Venez, Maurice… c’est Cardel accompagné de gens armés. S’il vous voit ici, alors que vous devriez être en votre prison, il vous tuera malgré tout ce que je pourrai tenter pour vous protéger. Venez, pour l’amour du Ciel !

D’Aubières voulut résister.

— Pour Dieu, Monsieur ! que n’avez-vous confiance en moi ? Je vous rendrai votre liberté tantôt… après le danger… De grâce…

Sa voix défaillante, fut couverte par un