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LA PRISE DE MONTRÉAL

a décidé, par un revirement inexplicable, de ne pas tenir contre les Américains.

Mirabelle devint très blanche. Ses paupières papillotèrent vivement, ses mains tremblèrent et s’accrochèrent avec force aux bras du fauteuil, et, le buste vacillant, la voix basse et chevrotante, elle murmura :

— Ah ! Monsieur, venez-vous ici pour me tuer ?

— La vérité est terrible, je le sais, et je vous prie encore de me pardonner le mal que je vous fais. Si je me suis hasardé à venir vous instruire de cet événement, c’est parce que je sais de quelle influence vous jouissez auprès de monsieur D’Aubières, et j’ai pensé que vous pourriez le faire revenir sur sa décision.

La jeune fille venait de fermer les yeux et de se laisser aller contre le dossier du fauteuil. Elle demeurait immobile, toujours blanche, les lèvres serrées et ses deux mains agrippées aux bras du fauteuil. On l’aurait pensée morte sans les battements violents de sa poitrine, sans le frémissement de ses narines. Cardel devina l’atroce souffrance de la jeune fille et son cœur fielleux s’en réjouit énormément. Mais sa physionomie demeurait grave, et il s’étonnait un peu de voir ainsi Mirabelle, lui qui s’était attendu, connaissant l’impétuosité de son tempérament, de la voir bondir comme une tigresse irritée. Mais au contraire, Mirabelle avait paru être frappée comme par un coup de foudre, et elle demeurait effondrée, sans force, presque sans vie.

Il se passa plusieurs minutes avant que la jeune fille pût dominer son émoi et sa souffrance. Lorsqu’elle releva ses paupières, le même feu ardent éclatait au fond de ses prunelles noires. Une indomptable énergie parut se manifester sur ses traits décomposés. Puis un sourire amer entr’ouvrit ses lèvres lorsqu’elle rompit le silence.

— Vous avez dit, monsieur, que vous me fourniriez des preuves ?…

— Je ne m’en dédis pas, mademoiselle. Mais pourrez-vous supporter…

— Je supporterai tout… interrompit rudement la jeune fille. Je veux ces preuves… où sont-elles ?

— Ne vaudrait-il pas mieux, auparavant, essayer de faire revenir monsieur D’Aubières sur sa décision ?

— Eh ! que m’importe monsieur D’Aubières et ce qu’il a pu décider ! Je veux des preuves, d’abord ! Ensuite… ah ! ensuite… que pourra-t-il m’importer ! La guerre… la lutte… ajouta-t-elle à voix plus basse comme si elle se fût parler à elle-même, tout cela est folie ! Monsieur D’Aubières a déserté… il faut croire que cela devait être ! Je l’aimais… désormais je ne l’aimerai plus ! En l’aimant, j’aimais mon pays… et dorénavant j’aimerai moins mon pays. Voilà tout.

Un rictus de souffrance s’imprimait à sa bouche.

Dans les regards de Cardel, on aurait surpris des rayons de joie et de triomphe.

— Ces preuves, reprit l’émissaire, vous les aurez si, vers onze heures, vous vous rendez au domicile de Lady Sylvia où celle-ci doit avoir une conférence avec monsieur D’Aubières.

— Quelle heure est-il à présent ? interrogea la jeune fille d’une voix méconnaissable.

— Dix heures et demie, Mademoiselle. Si vous pénétrez dans le jardin de Lady Sylvia, il est une fenêtre, du côté de la serre, qui ouvre sur un salon. En regardant par cette fenêtre vous pourrez voir Lady Sylvia en confé…

— C’est bien, Monsieur, c’est assez. À onze heures, je serai là. Maintenant je vous prie de vous retirer, je veux être seule.

Cardel s’inclina et gagna la porte. Mais avant de s’éloigner il demanda :

— Si mademoiselle avait des ordres à me confier, où pourrais-je la revoir ?

— Soyez à onze heures dans le jardin de Lady Sylvia.

— J’y serai.

Cardel s’en alla. Mirabelle demeura figée comme une statue de cire.

VIII

LE PRISONNIER


Maurice D’Aubières n’avait pas été surpris outre mesure en tombant aux mains des gens de Lady Sylvia et Cardel. On se souvient qu’il avait eu le pressentiment qu’un piège venait de lui être tendu, lorsqu’il était entré dans la serre de la jeune et jolie veuve. Le danger d’un piège ne l’effrayait pas. Hardi et téméraire, Maurice aimait à tenter tous les hasards, et