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LA PRISE DE MONTRÉAL

Un peu plus tard Lambruche surprenait des charretiers anglais transportant ces fusils et munitions de l’entrepôt de Lady Sylvia à une vieille baraque située près de la rue St-Gabriel, dans un endroit désert où, ont dû penser nos ennemis, nul n’aurait l’idée de chercher. Mais Lambruche rassembla ses miliciens, se mit en quête de charrettes et alla dévaliser la baraque.

Mirabelle riait de bon cœur.

M. Chauvremont souriait, la mine ravie.

— Brave Lambruche ! murmura-t-il.

— Alors, continua la jeune fille, il fit conduire ce trésor dans la cave de l’artisan Ledoux où nos hommes sont maintenant en train de s’équiper. Comme vous le pensez, nous avons à présent près de mille hommes sous les armes et des munitions suffisantes pour faire face aux envahisseurs. Toute la cité se livre au travail de défense. Demain matin, s’ils osent encore s’approcher, les Américains trouveront une ville debout, bardée de fer et prête à tous les prodiges de valeur pour défendre ses biens et sa propriété.

— Que Dieu soit béni ! s’écria M. Chauvremont. Je souhaite maintenant que monsieur Montgomery, nous sachant si bien préparés, abandonnera son projet de nous conquérir par la force ; dans ce cas notre ville et notre population ne souffriraient nul dommage et aucune perte.

— Je fais autant que vous, cher père, le même souhait. Mais il ne faut pas oublier que les Indépendants feront de tout leur pouvoir pour nous livrer à l’ennemi, et qui sait s’ils n’oseront pas nous attaquer, les armes à la main ? Ils sont capables de tout !

Un vieux domestique vint interrompre cet entretien, disant d’une voix basse et respectueuse :

— Monsieur, votre chambre est maintenant tiède…

— C’est bien, mon ami, dit le vieillard, je m’y rends.

— Vous vous retirez, mon père ?

— Et toi-même, Mirabelle ? Car il se fait tard, je pense. Quelle est l’heure, mon ami ? demanda-t-il aussitôt au domestique.

— Dix heures, monsieur. C’est l’heure à laquelle monsieur se retire chaque soir.

— C’est vrai. Eh bien ! bonne nuit, Mirabelle. Je te conseille de te retirer aussi. Il embrassa sa fille tendrement.

— Je gagnerai ma chambre tout à l’heure, mon père, dit Mirabelle, en aidant à son père à se lever du fauteuil. François, ajouta-t-elle en se tournant vers le serviteur, avez-vous allumé le foyer de la bibliothèque ?

— Oui, mademoiselle, et il y fait bien bon. Si vous le désirez, j’irai raviver le feu.

— Laissez, j’y verrai moi-même. Conduisez mon père. Bonne nuit, père. Je vais lire quelques minutes, car je ne sens pas encore le sommeil.

Quelques minutes plus tard M. Chauvremont avait gagné sa chambre et Mirabelle, de son côté, avait pris place dans un fauteuil de la bibliothèque qu’un grand lustre éclairait brillamment. Elle ne lisait pas. Accoudée sur un bras du fauteuil, les paupières mi-clauses, elle semblait méditer.

Plusieurs minutes se passèrent ainsi lorsque, à la plus grande surprise de la jeune fille, le vieux serviteur que nous avons vu tout à l’heure vint annoncer discrètement que Cardel désirait être introduit pour une affaire grave et urgente.

— Cardel ! s’écria Mirabelle en se dressant.

— Puis elle pensa, non sans une joie secrète qui la fit tressaillir de bonheur :

— Parions qu’il vient m’annoncer que nos adversaires abandonnent la partie contre nous…

Puis, au serviteur :

— François, introduisez ici, il y fait meilleur que dans la salle.

Peu après le domestique faisait entrer l’émissaire des Américains.

— Mademoiselle, dit Cardel en s’inclinant avec grâce, pardonnez-moi d’être venu frapper à votre porte à cette heure tardive et indue. Vous comprendrez bientôt…

— L’heure n’est nullement tardive et indue, monsieur, interrompit la jeune fille, du moment qu’il s’agit de choses graves et urgentes. À la veille d’une journée décisive comme sera celle de demain, il importe de bien employer cette nuit. Je vous écoute, Monsieur.

Elle désigna un siège que le jeune Français accepta avec grâce.

Sans être de vieilles connaissances, Cardel et la fille de M. Chauvremont se connaissaient assez bien. Ils s’étaient rencontrés plusieurs fois dans certaines réunions mondaines où Mirabelle avaient accepté de