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LA PRISE DE MONTRÉAL

le préservait, et c’est pourquoi devant l’apparition audacieuse de la jeune femme il avait reculé. La répulsion spontanée de Maurice n’avait pas été le fait d’une stupide naïveté ni un sot scrupule d’admirer la beauté de la nature, mais l’esprit du jeune homme s’insurgeait simplement contre l’étalage fantaisiste de cette beauté.

Lady Sylvia était assez physionomiste pour saisir les sentiments du jeune homme, et la chose lui était d’autant plus aisée qu’elle savait D’Aubières fiancé à Mirabelle dont elle admirait elle-même les beautés morale et physique. En supposant qu’elle eût songé à conquérir pour elle-même Maurice elle n’ignorait pas à cause même de Mirabelle, que la tâche pouvait être difficile, impossible. Mais femme audacieuse, elle ne pouvait abandonner une entreprise sans y avoir mis tous ses efforts. Oh ! comme elle pensait, si Maurice eût été libéré de cette exquise chaîne qui le rattachait à Mirabelle, elle n’aurait pas eu grande peine à amener le jeune homme à ses pieds. Mais n’importe ! en dépit de la chaîne, malgré Mirabelle, Lady Sylvia tenterait de subjuguer Maurice.

Ayant pu donner à sa physionomie toute la candeur possible et à son sourire le charme le plus puissant, elle rompit le silence.

— Monsieur D’Aubières, la raison pour laquelle je vous ai appelé près de moi était uniquement pour essayer de vous conquérir à nos vues et à nos idées.

Le jeune homme se borna à sourire avec un joli dédain.

— J’ai voulu vous faire entendre la voix du bon sens, poursuivit Lady Sylvia. Savez-vous que vous ne réussirez point à sauver la cité ? Non… vous n’avez pas à votre disposition des forces suffisantes. Vos volontaires ne pourront pas tenir devant les soldats de Montgomery. Et vous n’avez pas d’armes pour ces volontaires ! Et vous n’avez pas d’artillerie ! Il vous manque au moins six cents fusils. Et eussiez-vous ces fusils, où prendriez-vous les munitions ? Les murs de la ville ne sont protégés que par cinq petites batteries de campagne, que ferez-vous contre les pièces de siège de Montgomery ? Vos canons seront réduits au silence avant même d’avoir tonné, les murs de la cité seront abattus, les édifices bombardés, démolis, et qui sait si les Américains, furieux d’une résistance qu’ils ne s’attendaient pas de trouver, Monsieur, ce que vous nous voulons empêcher.

— Je reconnais, Madame, répondit Maurice poliment, que vos craintes ne sont pas exemptes d’une certaine justesse. Mais si vous, j’entends votre parti, vous vous joigniez à nous, ne pensez-vous pas que nous aurions toute chance de notre côté ? Au surplus, je crois que vous exagérez les forces militaires de Monsieur Montgomery. Si je suis bien renseigné, il n’a près de la ville que dix-huit cents hommes dont la valeur morale et militaire ne surpasse guère celle de nos Canadiens. Leur armement n’est pas si considérable ni si terrible que vous vous l’imaginez, Madame, je crois en savoir quelque chose. Et je pense encore que si Monsieur Montgomery savait que tous les citoyens de la cité sont unis pour lui résister et même pour l’attaquer, oui, je crois qu’il n’oserait pas s’aventurer davantage dans cette entreprise de nous prendre notre ville par la force.

— C’est une erreur de penser, Monsieur, qu’en unissant toutes nos forces nous serions les plus forts. Je sais que Monsieur de Montgomery commande à plus de trois mille hommes. Je sais que son artillerie est puissante et bien pourvue et qu’il n’hésitera pas à engager la lutte dès demain. Je vous le certifie, Monsieur ; si vous persistez dans votre voie, vous aboutirez à un désastre et vous exposez la ville et vos concitoyens à toutes les catastrophes et les humiliations. Je n’entreprendrai pas de vous démontrer, du seul point de vue politique, tous les avantages que les Canadiens auraient d’accepter les propositions des Américains…

— Ce serait bien inutile, Madame, interrompit D’Aubières, car nos plans comme nos idées sont arrêtées et rien ne les changera. Vous perdriez votre temps en cherchant à nous détourner du seul devoir qui nous confronte. Comme vous le voyez de suite, Madame, ajouta froidement Maurice, nous ne pouvons nous entendre sur ce sujet et je vous prie de me donner congé.

— Trouvez-vous donc le terrain brûlant ? demanda ironiquement la jeune femme.

— Pour vous comme pour moi, oui.

— Mais si j’en choisissais un autre… sourit énigmatiquement Lady Sylvia.

— Il n’en saurait être d’autre, Madame, je le regrette ; et malgré tout le respect que j’ai pour votre personne et vos opinions, et