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LA PRISE DE MONTRÉAL

avait dit la jeune femme au Comité des Indépendants « qu’elle aurait aimé à poursuivre avec lui dans l’intimité un entretien qui avait si bien commencé. »

— Allons ! pensa Maurice, je ne serais pas étonné que Lady Sylvia penche de notre côté plus qu’on ne saurait le penser. Qui sait même si elle ne songe pas à trahir ceux qu’elle a servis jusqu’à ce jour ? Ou peut-être comprend-elle que nous sommes enfin les maîtres de la situation, et elle désire se soumettre ! C’est bon, conclut-il, j’y vais.

Il donna aussitôt de rapides instructions à ses lieutenants, écrivit un court message pour Lambruche, et s’apprêta à quitter le Comité. Le lieutenant envoyé la minute d’avant à la recherche de Mirabelle s’approcha pour annoncer que la jeune fille n’était plus dans la salle, elle était partie en compagnie d’une amie pour on ne savait où.

— C’est bien, dit D’Aubières.

Et, ayant annoncé à ses partisans qu’il était appelé à un rendez-vous très urgent, il put se faire livrer passage. Quelques instants après, il longeait la rue Notre-Dame jusqu’aux Récollets, tournait dans une ruelle à sa droite, prenait ensuite une ruelle à gauche et aboutissait enfin à une belle et large rue transversale toute bordée de riches demeures. On appelait communément cet endroit « La rue des Anglais. »

Ce fut devant l’une des plus belles maisons de la rue que s’arrêta peu après Maurice. Ayant franchi une grille et traversé un parterre, il monta un perron de pierre et agita le heurtoir de la porte. La maison était toute obscure et silencieuse. L’instant d’après, un judas s’ouvrit sur un côté de la porte et une voix de femme ou de jeune fille, car la voix était plutôt jeune et fraîche, demanda en français :

— Qui est là ?

— Maurice D’Aubières ! répondit le jeune homme.

— C’est bien monsieur, vous êtes attendu. Une seconde, et je vais ouvrir.

L’instant d’après, en effet, une jeune et jolie soubrette introduisait Maurice dans un spacieux vestiaire diffusément éclairé par un bras de lumière à deux bougies.

— Madame est dans la serre, monsieur, reprit la soubrette… Venez, je vais vous conduire.

Au fond du vestiaire, la jeune fille ouvrit une porte en chêne sculptée et pénétra dans une salle en forme de rotonde. Bien que cette salle fût à demi obscure, n’était éclairée que par un bougeoir posé sur une table, le jeune canadien vit qu’elle était décorée et meublée avec grand luxe. Il n’eut pas l’opportunité d’en examiner les détails, car déjà la servante ouvrait une autre porte, s’engageait dans un passage obscur au bout duquel elle souleva une tapisserie masquant une troisième porte toute grande ouverte.

— Entrez, monsieur, dit la jeune fille, madame est là !

D’Aubières franchit cette porte. La tapisserie retomba derrière lui et le jeune homme se vit dans la pénombre exquise et très odoriférante d’une serre faiblement éclairée par une lumière invisible, mais il ne voyait là aucun être humain. Il demeura sur le coup un peu abasourdi et il eut le sentiment qu’il venait de donner dans un piège. Cette impression fut de courte durée, car une voix féminine et tout à fait mélodieuse s’élevait faiblement d’un fouillis de verdure et de fleurs au centre de la serre.

— Approchez, Monsieur D’Aubières, votre présence est tout à fait bienvenue !

Devant lui le jeune homme découvrit une étroite allée bordée de cyclamens, de muguets et de roses d’une fraîcheur remarquable, et il s’y engagea hardiment. La minute d’après, il s’arrêtait brusquement, interdit, ébloui… là, sous ses yeux, une jeune femme d’éclatante et mystérieuse beauté, se trouvait gracieusement étendue sur une couche de gazon que recouvrait une tenture de velours rouge, et tout près on voyait une piscine faite de marbre blanc et dont l’eau apparaissait de la plus belle limpidité.

La jeune femme, c’était Lady Sylvia… mais Lady Sylvia ne portant sur son admirable corps qu’un mince voile de fil d’or.

Souriante, la jeune femme reprit de sa voix plus douce qu’une musique céleste :

— Je vous demande pardon de vous recevoir ainsi, Monsieur D’Aubières. J’étais tellement fatiguée et harrassée que j’ai cru utile de me baigner quelques minutes dans cette piscine… J’y étais encore lorsque ma servante vous a introduit. Peut-être me trouvez-vous dans une position « trop à l’aise » ?

Trop à l’aise, certes ! D’Aubières ne