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LA PRISE DE MONTRÉAL

mandait des armes et l’on jetait des imprécations à l’adresse des Indépendants, et ceux-ci paraissaient avoir perdu le peu de prestige qu’ils avaient un instant tenu.

Un jeune homme vint trouver Lambruche qui demeurait toujours calme et impassible.

— Capitaine, dit le jeune homme, Monsieur D’Aubières vous mande.

— Maurice ? Interrogea Lambruche.

— Oui capitaine.

— Bien j’y vais.

Maurice D’Aubières était revenu à son Comité. La salle était remplie d’un monde énervé et inquiet. Seul, peut-être, D’Aubières demeurait serein.

Lorsque Lambruche parut, il courut à lui.

— Lambruche, dit-il, nous avons été joués… Cardel et ses gens ont fait disparaître les fusils qui se trouvaient dans leur cave.

Lambruche sourit et répondit :

— C’est nous, Monsieur, qui avons joué Cardel et ses gens : car j’ai les fusils et les munitions.

D’Aubières demeura béant de surprise.

— Es-tu fou, Lambruche ?

— Peut-être bien Monsieur, répondit le milicien avec son sourire benêt. Mais ce dont je suis certain, c’est que je tiens les fusils et les barils de poudre, je les ai logés, en attendant que vous en disposiez, dans la cave du père Ledoux.

— Tu dis vrai, Lambruche ? s’écria le jeune chef avec élan de joyeuse admiration.

— Quand Monsieur Maurice, m’avez-vous entendu mentir ?

— Je te crois mon bon Lambruche, je te crois… Alors, plus rien ne nous empêche de nous mesurer aux Américains ?

— Plus rien, Monsieur !

Maurice D’Aubières jeta un cri de triomphe, courut à un banc et clama au-dessus des têtes qui venaient de se dresser vers lui avec curiosité :

— Au pavillon ! mes amis. Au pavillon ! Nous avons des armes !

— Au pavillon ! rugirent deux cents voix joyeusement.

C’était le signal qu’attendait le peuple, ou plutôt, c’était la décision finale du comité des Royalistes : on allait s’opposer par la force des armes à l’entrée des Américains dans la ville.

Peu après, en effet, sur le toit d’une des plus hautes maisons qui avoisinaient le marché quelques jeunes hommes apparurent brandissant un pavillon blanc. Une acclamation frénétique salua cette apparition et ce cri immense emplit le ciel :

— Guerre aux Américains !…

VI

LA SIRÈNE


Tout le peuple, à ce moment, voulait acclamer Maurice D’Aubières et le porter en triomphe par les rues de la cité. La salle du Comité débordait d’une foule en délire qui se pressait autour du jeune chef, mais celui-ci avait trop de besogne à faire cette nuit-là pour perdre un temps précieux à jouir des honneurs qu’on voulait lui faire. Il chercha un moyen d’échapper à cette démonstration enthousiaste. D’abord il chargea un de ses lieutenants de découvrir dans la salle Mirabelle et de la lui amener. Aux gens qui l’entouraient de près il confia que d’importantes affaires l’appelaient du dehors, et il leur fit entendre de remettre à plus tard la présentation de bouquets d’hommages qu’on voulait lui faire. Mais ses admirateurs ne parurent pas se rendre à son avis ni à son désir, et ces cris retentissaient :

— Le peuple veut te voir… montre-toi au peuple !

Heureusement que, à cet instant précis, un inconnu réussissait à se faire un passage dans la foule compacte, arrivait jusqu’à Maurice et lui tendait une missive qu’un grand nombre de partisans purent voir.

— D’où vient cela ? interrogea Maurice en fixant l’inconnu d’un regard scrutateur.

— Lisez ce billet, répondit l’autre, il vous l’apprendra.

Et sans plus l’homme s’enfonça dans la foule agitée et disparut.

Maurice brisa vivement l’enveloppe en laquelle il trouva le billet suivant :

« Je suis certaine, monsieur D’Aubières, que si vous daignez venir jusqu’à ma demeure vous serez content des choses intéressantes que je désire vous confier. Je vous prie de venir sans délai, attendu que je devrai m’absenter dans une heure. »

Lady SYLVIA.

Maurice sourit et se rappela ce que lui