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LA PRISE DE MONTRÉAL

le droit de nous voler notre ville. S’ils ont peur, qu’ils s’en aillent ! Et s’ils ne s’en vont pas, c’est par lâcheté. C’est par lâcheté qu’ils vous ont trompés, vous des Canadiens comme moi, comme nous tous ! leurs promesses, les promesses des Américains, ne sont que pièges et mensonges ! C’est bien, allez ouvrir les portes de la ville, allez dire aux Américains d’entrer… Mais demain, vous leur direz : « et vos promesses ?… Oui, ce que vous nous avez promis, à nous Canadiens ? »… Ils vous riront au nez ! Les autres, ceux qui s’appellent les Indépendants et qui proclament la liberté, se moqueront de vous ! « Le beau piège aux imbéciles ! »… riront-ils. Oui, vous vous serez laissés prendre ! Eh bien ! pas moi… ni ceux-là que vous voyez ici… ni tout notre peuple canadien… il n’y aura que vous…

Cinquante voix interrompirent soudain la jeune fille pour clamer :

— Non ! Non !… Nous autres non plus !

— Ah ! Ah ! à la bonne heure ! reprit joyeusement Mirabelle. Je savais bien que vous ne vous laisseriez pas prendre au piège, vous autres non plus. Car je savais que vous aviez été trompés, car vous avez mal entendu ce qu’ils vous ont dit, les Indépendants, ce qu’ils vous ont promis ! Allez leur demander encore, pour voir…

— Non… déclara fermement l’hercule maçon en branlant la tête, on reste !

— Oui… on est tous avec vous ! crièrent les artisans.

— Bravo, mes amis ! clama Mirabelle triomphante.

— Mais il nous faut des fusils… reprit le maçon.

— Vous en aurez, répondit D’Aubières, je sais où ils sont.

— Nous irons les chercher, si tu veux. Dis-nous où ils sont.

— Ils sont là d’où vous venez !

— Hein là !…

— Oui continua vivement D’Aubières, dans les caves… il y a huit cents fusils et des munitions !

— Alors, on y va. Conduis-nous D’Aubières !

— C’est bien, venez !

Une immense clameur éclata, et toute la bande d’artisans s’élança sur les pas du jeune chef. Déjà le mot d’ordre circulait sur les ruelles avoisinantes et la Place du Marché, si bien que l’instant d’après une véritable armée assiégeait la maison de commerce de Lady Sylvia. La rue Saint-Paul retentissaient de cris et de jurons à l’adresse des Indépendants, et une foule exaltée se pressait contre l’immeuble qui servait de quartier général aux ennemis de la race. En peu de temps les portes furent enfoncées, et D’Aubières marchant à la tête de deux cents patriotes envahit la salle du Comité. Mais cette salle était déserte. D’Aubières alla lever le panneau d’une trappe et dit à son monde :

— Les fusils sont là… venez !

Ce fut une ruée folle dans la cave… Mais une immense déception attendait tout le monde : les caves étaient vides.

La stupeur sembla figer tous ces hommes.

D’Aubières ramassa sur le sol un papier sur lequel il lut :

« Trop tard, Monsieur D’Aubières ! À demain, et « vivent les Américains ».

Maurice D’Aubières sourit placidement, puis à son monde qui lui le regardait avec ahurissement il dit :

— Mes amis, comme vous le devinez, on a enlevé les armes qui se trouvaient ici, mais dans une heure je saurai où sont les armes !

V

LAMBRUCHE


Revenons de deux heures en arrière et à cet individu, surnommé Lambruche, que nous n’avons fait qu’entrevoir.

On se rappelle la scène des casernes et comment, peu après, le peuple s’était élancé vers la Place du Marché.

Alors, Lambruche fît libérer les soldats anglais qu’on avait faits prisonniers et dit à ses miliciens :

— Les amis, allons souper..... il n’y a plus rien à faire !

Les miliciens se dispersèrent aussitôt. Lambruche traversa la rue Notre-Dame de son pas traînant, enfila une ruelle étroite et sombre et s’arrêta peu après devant la porte d’une maison de pierre à deux étages. Il frappa. L’instant d’après il entendait un grincement de verrous, puis la porte s’ouvrait encadrant une grosse femme qui tenait une petite lampe à sa main droite.

On aurait de suite reconnu la mère Ledoux.