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LA PRISE DE MONTRÉAL

la plupart de nos ancêtres canadiens, Chauvremont avait au cours de son existence manié le mousquet et l’épée et avait pris part à plusieurs campagnes sous le régime français. S’étant marié après avoir dépassé l’âge de quarante ans, il se trouvait à présent trop vieux pour prêter à la défense du Canada un bras efficace, c’est pourquoi, voulant encore faire son devoir et prouver l’amour qu’il avait de sa patrie, il avait offert au gouverneur une partie de sa fortune.

De son père Mirabelle avait hérité du même amour pour le Canada. Sans haïr les Américains, elle ne pouvait assimiler ses principes chrétiens et loyaux à leurs idées révolutionnaires. Comme toutes les véritables canadiennes du temps elle avait prêché la résistance aux ennemis du dehors, de même qu’elle avait dénoncé ceux du dedans. Elle avait acquis un grand prestige par sa beauté, sa bonté, sa charité. Un jour, Maurice D’Aubières s’était trouvé sur son chemin, et tous deux, animés qu’ils étaient du même amour ardent pour la patrie, s’étaient unis pour la défense de celle-ci, puis s’étaient aimés.

Mirabelle Chauvremont était belle par le visage et la taille. Grande, élancée et de formes parfaites, elle était la plus élégante des jeunes filles du temps. Par sa mère, fille d’Espagne, elle possédait un teint ambré et le plus velouté qui fût. Son visage ovale et de lignes parfaites, sa bouche très rouge, ses yeux noirs et ardents, ses cheveux de jais gracieusement bouclés faisaient de sa figure une véritable image de son âme qui n’était pas moins belle et radieuse, car très pieuse, Mirabelle avait conservé une âme pure. Le cœur était chaud et généreux, un peu bouillant, et son tempérament impétueux et quelquefois violent pouvait, cependant, l’exposer à des fautes involontaires et à des imprudences qui auraient pu compromettre le succès de la cause qu’elle défendait. Ce tempérament fougueux était cependant atténué par une tendresse exquise et une généreuse sympathie. Sous l’orage elle trépidait, dans l’accalmie elle devenait une enfant mutine et d’une douceur angélique.

M. Chauvremont raffolait de sa fille.

Maurice D’Aubières adorait sa fiancée.

Ce jour-là, dès que l’approche des troupes américaines eut été signalée, Mirabelle avait couru à L’Auberge de France où vivait D’Aubières durant l’absence de ses parents, en Europe.

« Maurice, s’était écriée la jeune fille avec une ardeur vraiment guerrière, tu as dû apprendre comme moi que les Américains approchent de nos murs ? Il ne faut pas qu’ils entrent dans notre ville, et il faut les combattre, les repousser, les tailler en pièces… bref, leur imposer une défaite telle qu’ils ne soient plus jamais tentés d’envahir notre pays !

— Mirabelle, avait répondu D’Aubières avec non moins d’ardeur, nous sommes résolus à combattre les Américains jusqu’à la dernière extrémité, et, si possible, à leur infliger la défaite que tu dis !

Tous deux, alors, s’étaient mis à parcourir la cité pour prêcher la lutte à outrance.

Voilà donc quelle était cette Mirabelle Chauvremont, cette superbe canadienne, qui allait tant batailler pour défendre non seulement son pays contre les Américains, mais lutter également pour protéger ses amours contre les sournoises et déloyales entreprises de Lady Sylvia.

Donc, Mirabelle avait entraîné Maurice à la table du conseil. Il n’y avait pas là uniquement que des officiers, mais aussi des jeunes filles et jeunes femmes qui, sur de grandes feuilles de papier et hâtivement, inscrivaient des noms d’artisans et de bourgeois : c’étaient les feuilles d’enrôlement des milices. La salle était remplie d’un monde animé et il s’y faisait un va-et-vient bruyant et continuel. Maurice D’Aubières était attendu par ses camarades depuis une heure. Le peuple réuni sur la Place du Marché attendait avec impatience la décision du Comité sur la politique qu’on allait adopter, et personne n’aurait voulu, en l’absence et à l’insu de Maurice D’Aubières, communiquer au peuple la nouvelle qu’il attendait. Bien que, à la vérité, il fut résolu déjà de combattre les Américains, la proclamation officielle n’en avait pas encore été rendue.

L’impatience gagnait d’autant plus le peuple que les émissaires des Indépendants travaillaient avec acharnement à détacher ce peuple de la cause royaliste. Et ce peuple commençait à se diviser par factions ; les unes demeuraient fortement loyales, d’autres balançaient entre les deux partis, d’autres encore se déclaraient pour une neutralité absolue, et, enfin une quatrième