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LA PRISE DE MONTRÉAL

Toutefois, avant d’user de la force, il faut savoir si les Indépendants persistent à prendre fait et cause pour les Américains. Or, de ce pas je vais sonder leurs intentions, puis les sommer, s’ils refusent de se joindre à nous.

Et sous des acclamations délirantes D’Aubières, toujours suivi de ses gardes du corps, quitte le comité.

Les Indépendants tenaient réunions rue Saint-Paul et non loin des Royalistes, dans le soubassement d’une grande maison de commerce anglaise que dirigeait une belle et jeune veuve anglaise, Lady Sylvia, dont le mari avait succombé l’année d’avant à une longue et cruelle maladie. La maison de commerce de Lady Sylvia était une haute construction de pierre, percée de fenêtres si petites qu’elles ressemblaient à des meurtrières, et la forme massive du bâtiment lui donnait un aspect de forteresse. Cette construction faisait vis-à-vis à une poterne percée dans un bastion qui avoisinait la Porte du Marché. Comme on le comprend cette maison de commerce se trouvait fort bien située pour la facile expédition ou la réception de ses marchandises, car à cette époque le transport de ses marchandises, ne se faisait guère que par les voies d’eau. Les voies de terre étaient généralement d’un passage difficile, et le chariot ne servait que pour les petites expéditions au sein des terres. Le navire était donc le meilleur moyen de transport.

Disons de suite ici que les portes de la cité étaient gardées par des miliciens obéissant directement à D’Aubières, en personne, ou à son aide-de-camp et second, Lambruche, et D’Aubières lui-même tenait directement ses pouvoirs de Guy Carleton, gouverneur du Canada. Mais si les portes étaient gardées, il n’en était pas de même des poternes qui, au nombre de deux, demeuraient sans gardiens. Était-ce l’oubli ? Nul n’aurait su le dire. Il est vrai que l’une d’elles, à quelque distance de la Porte du Marché, était impraticable, attendu qu’elle se trouvait barricadée par une plateforme qu’on y avait élevée et sur laquelle on avait hissé un canon. Mais l’autre poterne, et précisément celle qui faisait face à l’établissement de Lady Sylvia, pouvait être facilement ouverte. Il est vrai que cette poterne donnait à l’extérieur des murs sur un fossé profond rempli d’eau, mais l’eau y était gelée presque à pierre. Si donc la surveillance de cette poterne avait été oubliée, il pouvait être à craindre que cet oubli ne coûtât cher à Maurice D’Aubières et à la cause qu’il défendait. Nous arrêterons là ces détails que nous avons jugé nécessaires, puisque c’est à cet endroit même, entre la Porte du Marché et cette poterne, que va se jouer le dénouement de cette histoire.

Lorsque D’Aubières et ses deux compagnons prirent le chemin du Comité des Indépendants, la noirceur était tout à fait venue. Les rues n’étaient éclairées que de loin en loin par de faibles réverbères dont la clarté rougeâtre et tremblotante ne décrivait dans la nuit qu’un petit cercle diffus. Sans les devantures des boutiques et des tavernes pour la plupart munies d’une lanterne ou d’un réverbère, il aurait été difficile de se guider sûrement dans la cité, Beaucoup de gens allaient à leurs affaires ou rentraient à leur logis en s’éclairant de falots. Mais Maurice D’Aubières ne paraissait pas embarrassé dans l’obscurité, il marchait d’un pas rapide et sûr dans cette ruelle qui allait à la rue Saint-Paul, car nulle part la ruelle n’était éclairée. Sur la rue St-Paul, une couple de réverbères des tavernes jetaient dans l’obscurité une lumière diffuse. D’Aubières et ses deux compagnons tournèrent à gauche et marchèrent vers la maison de commerce de Lady Sylvia dont l’enseigne était faiblement éclairée par une lanterne que balançait le vent.

La rue était déserte et calme.

Lorsque les trois jeunes canadiens furent devant l’immeuble, la lanterne accrochée au-dessus de l’enseigne s’éteignit subitement.

— Oh ! oh ! murmura D’Aubières, notre venue aurait-elle été signalée qu’on nous éteint le luminaire au nez ?

— Le vent a pu l’éteindre, répliqua un des compagnons du jeune chef.

— C’est vrai, sourit D’Aubières. N’importe ! je connais les aîtres. Mes amis, ajouta-t-il enveloppons-nous soigneusement dans nos manteaux, puis, la main à la garde de nos épées, en avant !

Et ce disant, malgré la profonde noirceur des lieux, D’Aubières ouvrit une porte basse que lui seul peut-être pouvait voir et, avec ses deux amis, s’engagea dans un escalier de pierre et court. En bas se trouvait une autre porte basse et bardée de fer