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LA PRISE DE MONTRÉAL

tres souverains dans leur province et que ce serait la Nouvelle-France ressuscitée. Le peuple se laissait prendre à ces belles paroles, la défection s’infiltrait rapidement dans les rangs des enfants de la race et Cardel commençait à entrevoir le plein succès de sa mission, lorsque survint Maurice D’Aubières. Et lui, vaillamment, hardiment, combattit l’ennemi et réussit à défaire son œuvre funeste. Alors, entre ces deux jeunes hommes de talent, car Cardel était également un garçon instruit et doué de qualités brillantes, la haine se fit.

Tous deux étaient de taille à peu près semblable, tous deux élégants, tous deux hardis. D’Aubières était blond et de beaux et longs cheveux châtain-clair encadraient sa figure aux traits harmonieux et énergiques. Ses yeux d’un beau bleu-de-ciel étaient doux et candides, mais il s’en échappait parfois des rayons qui étincelaient comme des éclairs, et le regard était droit et loyal. Cardel était brun et portait perruque brune. Il essayait de porter l’élégance au plus haut degré du raffinement, et il avait réussi à faire une certaine sensation dans les salons de la bourgeoisie canadienne et anglaise. Ses manières fort distinguées, mais un peu trop prétentieuses, lui donnaient l’air du grand seigneur, et l’on pouvait surprendre chez lui la copie du ridicule puritanisme affiché par la bourgeoisie américaine. Il était donc d’un physique propre à lui faire faire de faciles et nombreuses conquêtes féminines. Ses yeux étaient d’un noir brillant, perçant, fascinateur presque, mais le regard qui s’en échappait manquait de franchise et de droiture. Sous les paupières qui s’abaissaient souvent on devinait l’astuce et la ruse, on aurait pu y surprendre aussi une certaine méchanceté.

Comme on le voit, D’Aubières et Cardel étaient deux jeunes hommes qui pouvaient rivaliser avec d’égales chances de succès dans la lutte engagée ; mais jusqu’à ce jour, heureusement, et depuis les cinq ou six mois que la lutte se faisait, Maurice D’Aubières semblait demeurer le plus fort des deux.

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Revenons au Comité des Royalistes.

Il était environ cinq heures, et à mesure que la nuit se faisait le marché se vidait de sa tourbe tourmentée. Chacun regagnait son logis pour y prendre le repas du soir.

Le vent continuait à souffler avec non moins de violence.

Nous avons dit que la baraque où se réunissaient les membres du comité Royalistes se trouvait sur un côté du marché, mais la porte d’entrée se trouvait placée sur une ruelle transversale qui descendait de la rue Notre-Dame, coupait la rue St-Paul et aboutissait aux fortifications du bord de l’eau à l’endroit dit « Porte du Marché ». La Porte du Marché s’ouvrait entre les deux bastions qui dominaient le pont de la rivière St-Pierre. Nous aurons bientôt l’occasion de mieux connaître ce point de défense de la ville.

La baraque où se tient le Comité Royaliste ne comprend qu’une seule pièce, vaste et spacieuse, meublée seulement d’une longue table en bois blanc et de bancs rangés le long des murs. Trois lampes éclairent vaguement l’endroit. Une soixante de jeunes hommes de la bourgeoisie y discutent avec animation. Maurice D’Aubières paraît, accompagné de ses deux lieutenants. Le jeune homme est calme et souriant. Le comité l’acclame par des battements de mains et des vivats joyeux.

— Mes amis, crie D’Aubières, les deux tiers de la cité sont avec nous !

Une clameur d’enthousiasme emplit la salle.

— Il ne reste plus, reprend D’Aubières, que d’organiser nos forces en bataillons et de les armer. Mais si nous avons les hommes, il nous manque les armes…

— Ces armes, nous les trouverons ! clame un jeune homme debout sur un banc.

— Certes, nous les trouverons, mes amis. Mais il importe de savoir où les trouver.

— Nous fouillerons la ville entière, des caves aux greniers ! crie la salle tout entière.

— Cela prendrait trop de temps, sourit énigmatiquement D’Aubières. Moi, je propose que nous allions prendre ces armes-là où elles se trouvent, c’est-à-dire au Comité des Indépendants dont les caves recèlent huit cents fusils et de la poudre et des balles en quantité sans compter des épées, des pistolets, des baïonnettes et autres armes qui nous seront fort précieuses.

— Allons chercher ces armes ! fit l’assemblée avec élan.

— C’est mon avis, poursuit D’Aubières.