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LA MÉTISSE

Et comme François Lorrain demeure sombre, sans voix, désespéré peut-être, Héraldine sur un ton plus bas, très grave, et pourtant très tendre, demanda :

— Voulez-vous, François ? Le voulez-vous que je demande aux petits ?

— Ils ne peuvent comprendre ! réplique François d’une voix morne, car il redoute la décision de ces petits innocents.

— Ils comprendront ! affirme Héraldine.

— Je doute.

— Moi, je suis sûre !

— Sur quoi pouvez-vous baser votre assurance ?

— Je les connais, mes petits !

— Et s’ils disent… non ?

Héraldine demeure silencieuse un moment. Un sourire plein d’espérance glisse sur ses lèvres, et, alors, d’une voix qui caresse, qui soupire, qui espère, elle demande en rougissant un peu :

— Vous m’aimez, François ?

— Depuis une heure que je m’évertue à vous le faire entendre, Héraldine.

— Vous m’aimerez toujours ?

— Toujours !… Ah ça, Héraldine, dites donc le mot que j’attends de vous !

— Eh bien ! écoutez : si les enfants disent non, et si vous m’aimez toujours…

Elle eut une seconde d’hésitation. François Lorrain la dévorait du regard et frémissait.

Héraldine poursuivit, parlant plus vite, s’animant, ses regards ardents d’amour :

— François, écoutez ! Plus tard, pas bien loin, mais plus tard, quand mes deux petits comprendront, quand je serai assurée de leur sort, quand je pourrai me dire sans crainte que mes deux petits resteront des français et des catholiques… oui, François, je vous le dis, je vous en fais le serment… François, écoutez-moi !…

François Lorrain vient de se lever, pâle et tremblant, avec un regard de désespoir au fond de sa prunelle sombre. Il prend son chapeau qu’il avait déposé sur la table.

— Écoutez, François…

L’accent d’Héraldine est une supplication ardente.

— Je vous jure, François, oui, je vous jure qu’alors je serai à vous, tout à vous, pour toujours !…

François Lorrain s’arrête, soupire, mais garde le silence.

Héraldine, avec un élan passionné, presse ses lèvres brûlantes sur les deux petits fronts blancs et purs qui reposent sur elle.

Ce contact si doux, si caressant, réveille les deux petits.

Ils frottent leurs petits yeux, regardent François comme avec surprise, et balbutient en même temps :

— Dodo ! dodo !

— Joubert, demande Héraldine d’une voix profonde et tremblante, veux-tu que je remplace ton papa par un autre ?

Joubert lève sur Héraldine un regard surpris et troublé, une sorte de souffrance mystérieuse crispe ses petites lèvres, qui murmurent :

— Un autre papa ?… Non… non…

Il se met à pleurer et cache sa figure sur le sein de la Métisse.

— Et toi, petite France ? interroge encore Héraldine dont les traits sont livides.

— Non, pas de papa… bégaye France tout endormie. Les papas sont méchants, ajoute-t-elle.

Elle aussi se met à pleurer.

Alors Héraldine lève sur la physionomie abattue de François Lorrain un regard mouillé, et d’une voix à peine distincte, prononce :

— Plus tard… François !

Et elle se met à baiser avec une frénésie sauvage les deux petites figures pressées sur son sein palpitant.

Et, pendant que François Lorrain s’en va, presque désespéré, pendant que l’âme d’Héraldine s’élève vers Dieu, et pendant que son cœur déverse sur ces deux petits anges toute l’abondance de sa tendresse, et pendant que ses yeux versent des larmes de pitié, d’ivresse, d’amour, France, câlinement, passe ses petits bras autour du cou d’Héraldine et murmure :

— Didine !

Joubert, rendormi, répète, comme en rêve, de ses lèvres souriantes de suprême aveu :

— Maman Didine !…

FIN