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LA MÉTISSE

— Mon Dieu ! balbutie-t-elle, venez à mon secours !

Elle pénètre dans la maison. France et Joubert, en robe de nuit, chauffent leurs petits pieds au poêle.

— Didine !

— Maman Didine !

Elle les caresses. Les petits semblent examiner, avec un étonnement qui grandit, les traces encore un peu visibles du commencement d’incendie de la nuit dernière. Ils posent des questions puisqu’ils ont encore la sensation d’une fumée qui les étouffe. Héraldine répond que ce n’est rien.

— La lampe qui a fait explosion ! explique-t-elle.

Chose curieuse, le petit Joubert n’a aucunement l’air de se souvenir du drame qu’il a vu et dont il a été l’un des acteurs. Ou, s’il se le rappelle, il a répugnance à en parler… peut-être pour ne pas effrayer sa petite sœur ? Qu’importe ! Mais sa petite figure est bien triste, surtout lorsqu’il voit le front blessé d’Héraldine.

Dehors, à cette minute, un bruit de grelots. Héraldine ouvre la porte et jette sur la route un regard ardent. Un traîneau passe, C’est un cultivateur qui habite à quelques milles au Nord. Héraldine le connaît un peu. Le fermier s’en va vers le village. N’importe ! Elle court vers la route, appelle l’homme.

Lui s’arrête, attend.

— Monsieur, voulez-vous me rendre un service ?

— Certainement, répond l’homme.

— Voulez-vous, si ça ne vous dérange pas trop, aller chez François Lorrain et le prévenir que j’ai besoin de lui immédiatement ? Moi, je suis seule avec mes petits…

L’homme comprend et l’interrompt :

— C’est bon, mademoiselle ; j’y vais de suite. Ça ne me dérange pas beaucoup ; et puis, ma foi, un service en appelle un autre !

Contente, Héraldine remercie et revient à la maison.

L’homme se dirige à vive allure du côté de la ferme de François Lorrain.


XL


Tous ces drames ont laissé dans l’esprit d’Héraldine Lecours la sensation d’un rêve monstrueux, et parfois encore il lui semble que ce rêve se continue.

Le corps de MacSon a été enterré, après que les autorités eurent déclaré « mort accidentelle ». Rien ne fit supposer qu’il y avait eu suicide.

Une chose certaine, la mort de l’Écossais n’a affecté personne.

Les enfants reçurent la nouvelle avec indifférence, si peu habitués qu’ils étaient à considérer cet homme comme leur père.

Héraldine eut pour son bourreau une pensée de pitié et de pardon.

Quant à François Lorrain, il parut content, car c’était un ennemi redoutable qui disparaissait de son horizon.

Maintenant Héraldine demeurait seule avec ses chers petits. Seule ? pas tout à fait : par les soins de Lorrain elle avait trouvé les services d’un jeune homme de sa race pour la besogne des étables et des champs.

Mais elle était certaine de rester dorénavant avec France et Joubert, héritiers de MacSon. Personne ne pouvait l’empêcher de continuer l’éducation des enfants telle qu’elle l’avait commencée. Personne ne pourrait la séparer de ses chers aimés ! Elle demeurait, enfin, la maman… la maman Didine ! Et à cette pensée si douce à son cœur elle oubliait toutes les souffrances, toutes les humiliations passées, pour ne plus songer qu’à l’avenir, à l’avenir de France et de Joubert. Aussi, que d’actions de grâces ne rendait-elle pas à Dieu et à la Vierge !

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le soir d’un dimanche qui précède Noël, François Lorrain vient rendre visite à Héraldine. La Métisse, assise dans une berceuse qu’elle a approchée près du poêle, chante et berce les deux petits. France et Joubert, avec leurs petites têtes reposant sur les épaules d’Héraldine, écoutent silencieux et graves ; et leurs regards vagues, alourdis déjà par le sommeil, flottent sur des horizons imaginaires.

L’entrée de François ne les dérange pas, ils lui sourient seulement.

Héraldine a indiqué du regard un siège au Français.

Après les banalités d’usage, François Lorrain parle :

— Je suis venu ce soir, non pas pour vous rendre ma visite accoutumée depuis la mort de MacSon, mais pour accomplir une mission très importante.

— Rien de grave, au moins ? interrogea Héraldine que le ton solennel de Lorrain a quelque peu impressionnée.

— Si… très grave pour moi. Je suis venu vous demander d’être ma femme.

Héraldine ne berce plus, et elle a écouté très attentivement celui qui lui parle et pour lequel elle conserve une profonde estime. Elle ne se trouble pas ; elle sourit, et laisse ses regards tomber sur les deux petites têtes qui reposent sur son sein.

Les deux petits sont toujours silencieux, et leurs paupières plus lourdes ; ils ne semblent pas entendre les voix qui parlent : ils sont déjà dans un autre monde.

Un silence s’est fait entre Héraldine et François Lorrain. Lui, attend, anxieux, la réponse qu’il espère de toute l’ardeur de son âme. Elle, réfléchit.

Plus tard, Héraldine relève ses paupières et reporte ses regards brillants sur le Français, et avec le plus doux sourire elle lui parle :

— François, j’ai appris à vous estimer. Je vous dois et vous ai voué, comme à votre bonne mère, une reconnaissance qui vivra toujours. Mille fois j’ai invoqué le ciel de me donner l’avantage de le reconnaître par des faits, et non plus par de simples paroles, les inestimables services que vous m’avez rendus avec la plus grande générosité. Aujourd’hui, l’opportunité si longtemps réclamée se présente. Eh bien ! mon devoir est tout tracé, votre demande est tout à fait raisonnable et votre espoir juste. Et pourtant, François, je ne puis formellement ni accepter ni refuser d’être votre femme.