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LA MÉTISSE

Il se tut pour boire à longs traits sa tasse de café. On eût dit qu’il voulait dissimuler une émotion, ou cacher le manque de sincérité qui perçait dans le ton de sa voix et l’éclat de ses yeux.

Mais Héraldine ne le regardait pas. Elle avait repris sa place près du poêle, levant de temps à autre un regard confiant vers la petite image de la Vierge collée sur le mur en face d’elle.

MacSon l’observait d’un œil sournois ; parfois un sourire mystérieux se glissait entre ses lèvres épaisses. Au bout d’un moment il rompit le silence avec ces paroles qui voulaient être indifférentes :

— Quoi qu’il en soit, il faut bien en prendre son parti et essayer de vivre en attendant ; n’est-ce pas, Héraldine ?

— Oui, monsieur MacSon, répondit évasivement la Métisse sous l’empire de pensées inquiètes.

Car Héraldine pressentait encore quelque proposition inacceptable. Elle sentait que MacSon tentait de préparer le terrain, et elle avait peur de ne pouvoir se dérober. Mais quand MacSon eut achevé son souper, Héraldine pensa que le moment était propice pour s’éclipser. Elle se leva et dit :

— Puisque vous avez terminé votre repas, monsieur MacSon, je vais mettre les choses en ordre et monter à ma chambre. Il est déjà pas mal tard.

MacSon regarda la pendule..

— Bah ! dit-il négligemment ; il est à peine dix heures.

— Je suis fatiguée, répliqua Héraldine.

— N’importe ! Vous pouvez bien mettre dix minutes de plus pour parler de nos affaires.

Déjà, et sans s’en apercevoir il ne la tutoyait plus.

— Demain… voulut dire Héraldine.

— Demain, interrompit l’Écossais, je retourne au village, car c’est demain que je veux régler mes comptes. Je veux aussi m’entendre avec vous pour les achats à faire pour la maison. Asseyez-vous.

Héraldine fut donc contrainte d’obéir, et puisque l’occasion était venue de parler des affaires du foyer, elle ne devait pas la laisser passer.

MacSon alluma sa pipe tranquillement. Il était à un bout de la table, Héraldine à l’autre en face de lui.

MacSon tira quelques bouffées de sa pipe, puis il la posa vivement sur la table, et regardant Héraldine il dit :

— Ma digestion ne va pas bien. Si vous voulez m’attendre deux minutes, je vais aller me chercher de quoi pour remettre les choses en ordre.

Il sortit rapidement dehors. Il rentra tout aussitôt portant dans chaque main une bouteille de whiskey. MacSon déposa les deux bouteilles sur la table, s’assit, fit sauter un bouchon et remplit un grand verre au ras bord.

Héraldine eût bien voulu l’empêcher de boire, mais elle savait que contrarier MacSon en quoi que ce soit c’était s’exposer à sa colère violente. Elle garda le silence.

MacSon un moment considéra la liqueur rouge, puis, levant les yeux sur la Métisse, il demanda :

— Veux-tu boire un coup ?… Ça te ferait du bien.

— Merci, répondit Héraldine, je suis en parfaite santé.

Comme tu voudras… Moi, je suis malade, et il faut bien que je me soigne.

MacSon vida son verre lentement, le reposa sur la table et ralluma sa pipe.

Héraldine demeurait les yeux baissés n’osant pas regarder l’ivrogne. Mais si quelques minutes après que le fermier eut avalé sa boisson, elle avait levé ses regards, elle aurait découvert sur les lèvres de MacSon qui la regardait attentivement un rictus diabolique. MacSon se versa un deuxième verre et le vida comme le premier, puis, cette fois, au lieu de fumer, il dit brusquement :

— Maintenant, Héraldine, l’heure est venue de s’entendre… c’est aujourd’hui ou jamais. Je te veux pour femme !

Héraldine n’avait pas prévu une attaque si soudaine, et elle demeura désemparée, incapable de riposter.

MacSon ajouta avec un rire étouffé :

— Tu sais ce que tu m’as promis ?

Héraldine tressaillit et ses regards très surpris se fixèrent sur le fermier. Elle demanda, tremblante :

— Que vous ai-je promis ?

— De me marier… quoi !

— Non… non… vous m’avez mal comprise !

Elle voulait se défendre, prise à l’improviste, sans user de subterfuges.

— Bon ! tu vas me faire croire que j’étais soûl ?

— Je ne vous ai rien promis, vous dis-je ! MacSon fit entendre un sourd ricanement.

— Tu m’as donné un espoir… un espoir fou. T’en souviens-tu, Métisse ?

Cette fois Héraldine comprit le danger. Elle se leva disant :

— Un espoir ? Lequel ?…

Frissonnante, elle se dirigeait lentement vers la porte pour gagner sa chambre.

Toujours ricanant l’Écossais se versait à boire.

— L’espoir, tu sais, ça équivaut à une promesse ?

Héraldine songea à gagner du temps.

— Laissez-moi réfléchir un peu.

— Tu as eu tout le temps de la réflexion, rétorqua rudement MacSon ; aboutis !

Héraldine, à cette minute, surprit dans les regards luisants de l’Écossais quelque chose d’atroce, d’infâme, et son sein palpita d’épouvante et d’horreur.

Elle venait d’atteindre la porte donnant sur le passage conduisant à l’escalier de sa chambre.

— Demain… attendons à demain pour parler de ces choses ! balbutia-t-elle.

— Demain ? Non ; de suite, ma belle Métisse ! C’est de suite que je te veux pour femme, entends-tu ?

Il se leva, couvant de son regard aigu la pauvre fille qui, maintenant, traversait le seuil de la porte, et reculait lentement vers l’escalier.

Alors MacSon fit un bond énorme pour s’élancer sur elle, mais il glissa et tomba lourdement sur le plancher.