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LA MÉTISSE

Esther pleurait.

— Pour que Hansen ait porté une telle accusation, une haine quelconque devait exister entre lui et votre père ; en savez-vous quelque chose ?

— Non, rien ; ils avaient l’air de bons amis.

— Alors, il faudrait penser que le Suédois a fait cette déclaration dans un moment de folie, n’ayant aucunement conscience de ses paroles. Mais, voyez-vous, la Justice se base sur cette déclaration ante mortem, et c’est sur cette déclaration qu’on a arrêté votre père.

Cette nouvelle ne parut pas affecter la malade davantage. Elle était probablement à bout d’émotions. Et François continua :

— Maintenant, Esther, il reste pour vous comme pour moi un devoir à accomplir : sauver votre père. Je pense que la Justice, après avoir entendu mon témoignage et le vôtre, rendra la liberté à votre père.

— Mais, s’écria Héraldine avec effroi, vous n’irez pas, je suppose, vous accuser du meurtre de Hansen ?

— Non, Héraldine, je ne peux pas m’accuser d’un crime dont je ne suis pas coupable. Mais il y a des faits à établir que la Justice ne connaît pas, et après la connaissance de ces faits il lui sera plus facile de définir les responsabilités. Et puis, avec le témoignage d’Esther, pourra-t-on me blâmer d’avoir pris des mesures pour protéger ma propriété, ma vie et celle de ma mère ?

— Oui, acquiesça Héraldine, je crois que c’est l’unique moyen de faire disparaître l’erreur dont souffre monsieur MacSon.

— Je vous approuve aussi, dit Esther. Je suis prête à dire ce que vous savez pour sauver mon père d’un châtiment qu’il n’aurait pas mérité. Si dans un moment de faiblesse il a pu écouter Hansen, on ne pourrait, en justice, le tenir pour le meurtrier.

— Allons ! s’écria François joyeusement, c’est entendu. Je vais voir le plus tôt possible les autorités, et je suis assuré d’avance que tout s’arrangera bien. Je me rends de suite à Bremner.


XXXIV


Malheureusement, à Bremner, aucune autorité ne pouvait faire libérer MacSon. Les policiers avaient reçu l’ordre de conduire le fermier à Brandon où l’affaire serait entendue. C’est donc à Brandon que François Lorrain devrait se rendre. Mais avant de s’absenter il dut faire des démarches pour se procurer les services de deux employés de ferme : un pour lui-même et l’autre pour Héraldine. Cela lui prit trois jours. Puis il partit pour Brandon.

François arriva en cette ville la veille du jour où devait se tenir l’enquête préliminaire. De suite il se rendit chez l’avocat de la défense, pour le mettre au courant des faits que nous connaissons. L’avocat vit le magistrat chargé de l’enquête, fit décréter un ajournement et obtint qu’on allât prendre sur place le témoignage d’Esther.

Comme l’avait pensé François Lorrain, après trois semaines de recherches et d’enquêtes, le magistrat déclara que ni MacSon ni Lorrain ne pouvaient être tenus responsables de la mort de Hansen, mort qui, tout bien pesé, n’avait été qu’accidentelle.

MacSon fut relâché.

Libre, MacSon, avant de retourner sur sa ferme, voulut oublier les heures de captivité et l’affreuse épouvante qui lui avait serré les entrailles, jusqu’au jour où François Lorrain était venu dire qu’il avait, sans le savoir, tiré trois coups de fusil sur Hansen. Il se mit à boire avec des amis de hasard, il se jeta dans l’orgie.

MacSon oublia sa fille malade et ses deux petits enfants, France et Joubert. Mais il n’oublia ni Héraldine ni François Lorrain. Héraldine, plus que jamais, il la voulait pour femme, et il l’aurait bon gré mal gré, se disait-il dans ses accès de rage alcoolique. Quant à François, il ne veut pas le tuer, car c’est trop dangereux ; mais il se promet bien de lui faire toutes les misères possibles. MacSon est trop fanatique et trop rancunier pour puiser dans son épaisse cervelle un peu de bon sens, et dans son cœur (s’il en a un) un peu de gratitude. MacSon est content, heureux de reprendre sa liberté et d’échapper à la mort… à la mort ignominieuse de l’échafaud ; et contre l’homme qui, par générosité et par devoir, l’a arraché des mains du bourreau, il médite déjà l’attaque sournoise.

Au cours de ses premières libations l’Écossais se disait souvent :

— Aurai-je donc toujours ce maudit Français dans les jambes ? Je gage qu’il va crier à tout le monde qu’il m’a sauvé.

Car, disons-le, MacSon n’attribuait son salut qu’au seul témoignage de sa fille, Esther. Et nous croyons, avec lui, que ce témoignage eût été suffisant pour sortir MacSon du bourbier. Mais l’Écossais ne savait pas que ce témoignage de sa fille n’avait été fourni que sur les instances de Lorrain. Sans Lorrain, Esther fût demeurée ignorante de toute cette affaire, peut-être. Par Héraldine elle eût appris la mort de Hansen, l’accusation portée par lui et l’arrestation de son père. Connaissant le tempérament violent du fermier, sachant qu’une fois déjà il avait attenté à la vie d’un homme, elle aurait pu le croire l’auteur des trois coups de feu entendus. D’autant mieux, qu’elle n’avait pas oublié la petite comédie feinte par son père à son retour de la ferme du Français, comédie qui n’aurait fait qu’aggraver ses soupçons. Sans le concours de François Lorrain, MacSon aurait été forcé de se débattre désespérément dans le terrible engrenage où l’avait jeté la dernière parole de Hansen, — engrenage d’où MacSon ne fût jamais sorti vivant.

Et avec toujours les mêmes pensées de haine et de revanche, l’Écossais vécut deux semaines à Brandon dans les plaisirs du vice.

Pendant que MacSon fait la fête, là-bas, sur la ferme, un nouveau drame se passe, non moins triste, non moins tragique. Esther jette les derniers souffles d’une vie qui vient à peine d’éclore.

Toute la science du médecin, tous les soins et tous les dévouements d’Héraldine n’ont pu enrayer le mal trop profond. Et ce mal a grandi sous les émotions si diverses et si cruelles qui se sont agitées dans le cœur et