Page:Féron - La métisse, 1923.djvu/49

Cette page a été validée par deux contributeurs.
47
LA MÉTISSE

Elle n’eut pas le temps de répondre ; on frappait à la porte.

Bien qu’il eût le pressentiment de quelque danger, MacSon alla ouvrir la porte.

Deux hommes de police entrèrent.

Par instinct, le fermier se recula vivement, blême, presque épouvanté.

— Monsieur MacSon, dit l’un des hommes de police avec un sourire ironique, vous êtes requis de nous suivre à Bremner où l’on a besoin de vous.

MacSon devina qu’on venait l’arrêter. Il voulut se rebeller, redressa sa haute taille, gonfla ses joues, fit articuler les muscles de ses bras énormes.

Cette mimique ne parut pas intimider les deux hommes.

— Nous n’avons pas de temps à perdre, dit l’homme de police, et préparez-vous à nous suivre.

Ceci fut dit sur un ton péremptoire.

MacSon, alors, vit deux pistolets automatiques pendus à la ceinture des constables, et lui n’avait pas d’arme. Résister, c’était inutile et c’était aggraver les choses.

Il perdit donc un peu de son air hautain et demanda :

— Vous m’arrêtez ?

— Voici le mandat ! fit l’autre homme de police en exhibant une feuille de papier.

— Mais pourquoi ?

L’homme de police se mit à lire le papier.

— Pour avoir assassiné d’un coup de feu un nommé Hansen dans la nuit du 27 au 28 octobre.

MacSon demeura frappé de stupeur. Puis il éclata d’un rire énorme, d’une rire qui résonna sinistrement dans la maisonnette silencieuse.

— J’ai assassiné Hansen, moi ? s’écria-t-il. Je n’aurais jamais pensé qu’il y eût au monde des gens assez bêtes pour porter une telle accusation.

De nouveau il éclata de rire.

L’un des policiers le réprimanda sévèrement.

— MacSon, dit-il, ne riez pas, car l’affaire est plus grave que vous pensez. L’accusation a été faite par Hansen lui-même avant de mourir.

L’Écossais demeura bouche bée, stupide d’hébétement.

— Ah ! bien, murmura-t-il, je fais un rêve… ou bien je suis fou !

Et ce fut, en effet, comme en un rêve qu’il partit quelques minutes après, sans dire une parole à Héraldine qui défaillait, sans regarder ses enfants qui, stupéfaits, regardaient cette scène indéchiffrable pour leur jeune cerveau.

Bientôt la voiture s’éloigna emportant un prisonnier : MacSon.

Héraldine alors se laissa choir sur un siège, attira les deux enfants sur son sein et laissa libre cours à ses larmes trop longtemps retenues.


XXXII


La pauvre fille se voyait prise dans une situation terrible : seule avec deux petits enfants qu’elle ne pouvait abandonner et une malade qui, à tout instant, pouvait être emportée par la mort. Et plus terrible malheur, le père de ces enfants et de cette jeune fille mourante était arrêté pour meurtre. Et dans son imagination épouvantée Héraldine voyait ce père monter à l’échafaud !

Trop horrible vision qu’elle s’efforça de chasser aussitôt de son esprit ! Et, fille forte, brave, courageuse, elle comprit qu’il fallait réagir contre son désespoir. Car elle voyait sa tâche prendre des proportions effrayantes, et à cette tâche elle devait faire face avec toute l’énergie possible.

Dans le désarroi où elle se trouvait si soudainement, la première pensée d’Héraldine fut de demander aide à François Lorrain. Oui, il y avait là un homme, un voisin, sur le dévouement duquel elle pouvait compter, et elle résolut d’aller frapper à cette porte amie.

À cette minute, elle entendit la voix faible d’Esther qui l’appelait.

Héraldine essuya ses larmes à la hâte, embrassa tendrement les deux petits enfants dont les yeux s’emplissaient de larmes aussi et leur dit :

— Amusez-vous bien doucement tous les deux, mes chéris, pendant que je monte voir Esther.

Héraldine fut surprise de voir que sa malade semblait avoir pris un mieux sensible. Car les yeux de la jeune fille étaient brillants, ses joues se coloraient légèrement, et ses lèvres souriaient un peu.

— Te sens-tu mieux ? interrogea Héraldine.

— Un peu, oui. Papa est-il en bas ?

Cette brusque question troubla violemment Héraldine. Elle se trouvait en face d’une vérité que, même dans l’état critique d’Esther, elle ne pouvait lui taire. Mais cette vérité, elle ne se sentait pas la force de l’avouer, et elle ne trouvait pas d’expressions capables d’amoindrir le coup que cet aveu porterait à la malade. Et pour se donner le temps de réfléchir, elle répondit :

— Il est parti.

— Pour aller chercher le médecin ?

— Oui… fit Héraldine en rougissant.

— Je t’ai donc appelée trop tard, Héraldine. Je voulais dire à papa de ne pas aller chercher le docteur, parce que je me sens mieux.

Héraldine eut une idée.

— Si tu ne veux pas le docteur, je peux aller demander à François Lorrain d’aller en prévenir ton père au village.

Le nom de François Lorrain mit une nouvelle rougeur sur le front d’Esther.

— C’est bien du trouble dit-elle.

— Mais non, répliqua Héraldine, du moment que tu te sens assez bien pour avoir l’œil sur les enfants. Du reste, je ne serais pas une heure en tout, aller et revenir.

— En ce cas, amène les enfants dans ma chambre pour qu’ils s’amusent sous mes yeux.

— C’est entendu !

C’est ainsi que quelques minutes plus tard Héraldine, se dirigeait vers la ferme de François Lorrain auquel elle voulait demander conseil et secours. Oui, François se chargerait d’apprendre à Esther le tragique événement qui venait de surgir.

À la ferme de François Lorrain on avait appris la mort de Hansen, mais non l’accusa-