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LA MÉTISSE

Leur demander s’ils seraient contents de la savoir leur vraie maman, l’épouse de leur père ! Ces enfants, du reste, n’avaient-ils pas un droit de suffrage ? Était-il juste et digne d’une femme de s’imposer comme leur mère, bon gré mal gré ? N’étaient-ce pas eux seuls qui réclamaient les tendresses d’une mère ? Ne pouvaient-ils eux seuls faire le choix de cette mère ? Si MacSon avait le droit de se choisir une épouse, avait-il, moralement, celui de donner à ses enfants une mère qu’ils ne réclamaient pas ? Car, en dépit de l’âge, les enfants savent encore mieux que nous ce dont ils ont besoin ! Si on leur laisse choisir un jouet entre mille, n’est-il pas plus important de leur laisser le choix d’une mère, quand ce choix est possible ?

Héraldine repassait dans son esprit toutes ces questions, les retournant, les scrutant sous leurs faces multiples et diverses. Finalement, elle décida qu’elle ne pouvait s’engager avec MacSon sans avoir l’avis des deux enfants.

Le soir même, après les prières faites, la pauvre fille leur demanda entre deux baisers et d’une voix tremblante :

— France chérie, et toi, mon Joubert, que diriez-vous si je devenais votre vraie mère, votre véritable maman Didine ?

Les deux petits, encore agenouillés, la re¬ gardèrent avec de grands yeux dans lesquels se lisait l’ébahissement. Avaient-ils compris le sens des paroles prononcées par la Métisse ? Ils ne dirent mot ; mais leurs regards plus ardents semblaient réclamer une explication.

Héraldine la leur donna :

— Voulez-vous, petits, que je devienne la femme de votre papa ?… afin que je demeure avec vous toujours, sans crainte d’être congédiée comme une servante.

Et elle se mit à les embrasser avec une ardeur presque sauvage, pour ne pas dire une sorte d’horreur qui se dessinait dans la prunelle agrandie des deux enfants. Ils avaient compris cette fois, les pauvres petits, et tous deux demeuraient comme médusés.

Plus tard, Joubert murmura les lèvres tremblantes et avec un gros froncement de ses jeunes sourcils :

— La maman de papa ?… Non, non, tu es la maman de Joubert et la maman de France… Tu es notre maman Didine !

Et le petit se mit à pleurer.

Tandis que, très émue, la Métisse buvait les pleurs de Joubert, France essayait de dire sur un ton d’autorité :

— Non, non, Didine, pas la femme de papa… il est trop méchant !

— France, ma chérie, reprocha doucement Héraldine, il ne faut pas dire cela de son père.

Et elle se mit à embrasser la petite fille comme elle avait caressé Joubert ; elle était heureuse à présent de tenir l’avis qu’elle avait désiré. L’instant d’après, elle couchait les deux enfants, les caressait avec une effusion nouvelle, mêlait ses larmes attendries à leurs larmes chagrinées et inquiètes, et se disait avec une joie âpre :

— Non, je ne serai pas la femme de MacSon. Mais je compte sur Dieu pour me garder à mes petits !


XXIV


MacSon, durant ces deux jours, s’était montré d’une galanterie auprès d’Héraldine et d’attentions qui avaient stupéfié Hansen, revenu à la ferme le lundi matin. Esther également s’étonnait des façons paternelles, onctueuses, tendres, que son père affectait à son égard. Elle sentait qu’il y avait quelque chose d’anormal dans la conduite du fermier, mais ce quelque chose demeurait pour elle une énigme. Héraldine avait bien eu l’idée de consulter Esther comme elle avait consulta France et Joubert : mais après réflexion, il lui parut plus sage d’attendre la réponse des deux petits enfants. Mais la pauvre Esther allait également recevoir une demande qui ne la surprendrait pas moins que l’avait été Héraldine.

En effet, durant ces deux jours. MacSon et Hansen avaient continué le développement de leur projet conçu le dimanche d’avant. L’Écossais avait avoué à son employé que ses affaires allaient très bien, et qu’il était assuré d’une réponse favorable d’Héraldine.

Il avait conclu :

— Comme tu vois, Hansen, avec mon appui et celui de ma femme, tu peux compter qu’Esther ne résistera pas. Je vais l’initier bientôt, et une fois que j’aurai préparé les décors, tu n’auras qu’à paraître en scène et faire ta déclaration.

Et MacSon riait, se réjouissait à l’avance de l’infamie nouvelle qu’il allait commettre. Et pourtant, cet homme disait et pensait qu’il aimait sa fille… il aimait cette enfant et, sans cause aucune — seulement pour écarter un mariage qui ne pouvait être ni de son goût ni de son choix — il se disposait à la sacrifier en la jetant aux caprices d’un inconnu dont il avait pu connaître le caractère immoral. Hansen, pour tout dire, n’était qu’un rebut de la société. Certes nous pourrions en dire tout autant de MacSon, et tous deux, se ressemblant, s’assemblaient. Mais entre ces deux hommes il y avait au moins une nuance : l’un était un individu sans foyer, sans patrie, peut-être un transfuge, homme pétri de vices que les bas-fonds réclament : l’autre, MacSon, possédait au moins un titre qui le préservait de la dernière déchéance : son titre de père. C’était la seule différence qui existât entre ces deux êtres qui semblaient si bien s’entendre et se comprendre. Mais ce titre qui aurait pu être une rédemption, MacSon pouvait, venue l’occasion, le jeter aux orties sans remords, sans un sourcillement.

Ce fut un peu avant qu’Héraldine ne consultât les enfants, que MacSon monta à la chambre d’Esther.

La jeune fille lisait.

— Esther, dit MacSon, je viens te demander de me faire plaisir.

La jeune fille regarda son père sans mot dire ; elle parut attendre une explication.

— Tu sais, continua MacSon qui, avec sa fille, n’avait aucune gêne ou timidité, que j’ai toujours voulu te rendre heureuse. Tu sais que je t’ai toujours, autant que c’était possible, épargné les moindres soucis, le moindre travail, et que je n’ai jamais cherché qu’à faire de toi une demoiselle. Or, il vient un jour où de la demoiselle il faut faire une femme, et ce jour