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LA MÉTISSE

elle tournait ; il s’était si mal expliqué aussi ! De suite il décida de jeter un jet de lumière dans l’esprit de la Métisse.

— Vous n’avez pas l’air de me comprendre, Héraldine ? Excusez-moi, je ne sais pas m’expliquer comme un homme instruit. Mais si j’avais mentionné le nom de la femme que je veux épouser, peut-être que…

Il s’arrêta, manquant de courage à nouveau ; et l’on eût dit qu’un hoquet de gêne venait d’obstruer son gosier.

Mais Héraldine, cette fois, comprenait clairement. Aussi, ne put-elle s’empêcher de rougir de gêne d’abord sous l’œil bleu et papelard de l’Écossais ; et de plaisir, ensuite en songeant qu’il n’allait dépendre que d’elle-même de demeurer toujours avec Joubert et France.

Or, MacSon poursuivait, après avoir toussé fortement pour dégager sa voix :

— …peut-être que vous m’auriez de suite compris.

— Oui, peut-être… souffla Héraldine qui ne savait que dire.

— J’aurais donc dû expliquer, continua MacSon sans regarder la Métisse, que la femme que je désirais marier, c’était vous !…

Héraldine attendait ces deux mots ; elle avait redouté de les entendre, tout autant que MacSon avait redouté de les prononcer. Et, à présent qu’ils étaient dits ces deux mots, elle se sentait soulagée. Mais il en fut bien autrement de MacSon ; c’est comme si on lui eut ôté sur le dos le poids d’une montagne, et sur sa poitrine, qu’il avait puissante, pourtant, une meule de moulin. Comme s’il eût en horreur d’entendre à ses oreilles l’écho de ses dernières paroles, MacSon, pâle, tremblant, se mit à tousser, à éternuer avec fracas. Mais ce fracas, dont tremblait la maison entière, il voulut de suite l’expliquer par ces paroles à peine bredouillées :

— La fumée de mon cigare… décidément, je ne sais plus fumer…

Héraldine n’avait rien dit. Elle avait seulement abaissé ses paupières et souri. Elle ne pouvait parler d’ailleurs, ne trouvant rien à répondre sur le coup. Et puis, elle préférait attendre que MacSon lui posa la question plus directement.

Eh bien ! l’Écossais la posa la question… Avec le soulagement qu’il venait d’éprouver, avec le sourire qu’il avait vu courir sur les lèvres d’Héraldine, — sourire qu’il avait interprété, sinon comme un consentement, non comme un refus positif du moins, — MacSon se raffermit, reprit toutes ses audaces de montagnard, retrouva toutes ses forces d’hercule, et dit :

— Héraldine, je vous demande de devenir ma femme…

Il s’interrompit, ne pouvant en dire davantage, et laissa flotter sur la Métisse un regard inquiet.

Cette fois, Héraldine se vit bien obligée de répondre. Elle le fit avec calme, sans trop de timidité, parce qu’elle avait eu le temps de préparer sa réponse.

— Monsieur MacSon, vous me faites une demande à laquelle je ne pouvais m’attendre. Un patron qui soumet une telle proposition à sa domestique… Vous devez comprendre ma surprise et mon émoi…

— Oh ! je comprends tout ça, en vérité, s’écria MacSon. Mais dites-vous bien qu’en ce moment je ne vous considère pas comme une domestique. Vous êtes une femme qui s’est imposée à mon admiration, une femme qui aime mes petits plus qu’elle-même, une femme seule au monde ; et à cette femme je dis : Soyez la maîtresse ici et non plus la servante !

Pour la première fois peut-être MacSon s’écouta parler, et il se félicita en lui-même d’avoir trouvé des paroles irrésistibles. Cette satisfaction de son savoir-faire doubla sa hardiesse. Ce fut presque avec volubilité qu’il poursuivit :

— D’abord, Héraldine, sachez que je vous aime… Je vous ai toujours admirée et aimée ; et je suis sincère. J’avoue que j’ai été bien stupide avec vous, mais savez-vous pourquoi ? C’était la jalousie…

Héraldine le considéra avec surprise.

— Oui, la jalousie, répéta MacSon. Et cette jalousie provenait de l’amour profond que vous ont donné mes enfants. Je me disais que vous me les preniez, et cela me fâchait, m’enrageait. Et je vous aimais… et me disant que vous ne m’aimiez pas, que vous ne m’aimeriez jamais, ma rage augmentait. Si elle voulait être ma femme ! me disais-je souvent, comme cela arrangerait toute chose pour le mieux ! Et alors je me mettais dans la tête que vous ne consentiriez jamais à devenir ma femme ! Voyez-vous dans quel état d’esprit je me trouvais ?

À la fin, à force de se croire sincère, MacSon paraissait tel. Dans un sens il pouvait l’être : car l’amour, souvent, n’étant qu’une forme ou un côté de l’admiration, pouvait germer dans le cœur de l’Écossais aussi bien qu’ailleurs. ! MacSon pouvait aimer Héraldine pour les belles qualités d’âme et de cœur que possédait cette fille modeste. Ensuite, pouvait-il trouver une femme qui choyât ses enfants davantage, plus intéressée à son foyer, plus soumise, plus fidèle ? Héraldine était un trésor, et il le savait. Aussi, en face de ces vérités, MacSon était assurément capable d’éprouver un sentiment qui n’était pas loin de l’amour !

Seulement, il oubliait un peu que ce trésor n’était pas fait pour être palpé par des mains comme les siennes, qui pouvaient ou pourraient être sacrilèges ! Il oubliait qu’aux plus sublimes vertus, il n’aurait à allier que des vices ! Il oubliait qu’à un tempérament fait de douceur, de générosité, de renoncement, il n’aurait à mettre en vis-à-vis qu’un caractère emporté, égoïste et jaloux ! Et cependant, MacSon, en parlant de son amour, entendait, ou plutôt il se disait qu’il modèlerait sa conduite future sur celle de sa femme, qu’il écarterait de lui le vice, qu’il réformerait son caractère, bref, qu’il se ferait meilleur et deviendrait un mari parfait ! Et il prenait les plus fortes résolutions ; il s’armait, pour ainsi dire, en face de la lutte inévitable qu’il était assez sensé pour entrevoir : lutte contre ses passions ! Et là encore MacSon se croyait sincère.

Sincère !… Hélas ! la sincérité n’est souvent chez trop de mortels qu’un fard hâtivement appliqué qu’effacera la première humidité. La sincérité est, au fond, une monnaie…