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LA MÉTISSE

siège près du poêle. En ce mois d’octobre les nuits étaient froides, et l’on ne négligeait pas d’entretenir un bon feu. Aussi, en pénétrant dans ce logis bien tiède où chaque chose était à sa place, où reluisait une parfaite propreté dans ce foyer calme, serein, dont le silence n’était troublé que par un fredonnement léger et joyeux, on eût juré que, là, existait un bonheur sans mélange.

MacSon avait tiré un cigare de sa poche et l’avait allumé d’une main qu’Héraldine crut voir trembler légèrement. Après avoir tiré quelques bouffées de son cigare, l’Écossais commença la conversation par ces paroles :

— Héraldine, je veux d’abord vous faire mes excuses que vous devez attendre depuis longtemps.

Il se tut, et parut s’écouter comme si les paroles qu’il venait de prononcer eussent produit sur son entendement une étrange impression.

Très surprise par ce préambule, Héraldine fixait sur l’Écossais ses grands yeux noirs aux regards immobiles et perçants.

Le fermier ne la regardait pas ; il s’amusait à tourner son cigare fumant entre ses gros doigts.

Il poursuivit, après avoir repris fortement haleine :

— Je n’ai jamais oublié que j’ai eu de grands torts à votre égard…

— N’en parlez pas, monsieur MacSon, interrompit la Métisse, gênée ; moi, j’ai tout oublié.

MacSon la considéra, très surpris, interloqué.

— Vous ne voulez pas, reprit-il avec effort, que je m’excuse ?

— Tout est excusé depuis longtemps. C’est oublié.

— Vous ne m’en voulez donc pas ?

— Pourquoi ? J’ai eu mes torts aussi… je n’ai pas toujours obéi à vos ordres.

— Bah ! se mit à rire MacSon, vous avez bien fait de ne pas agir comme je vous disais, puisque je disais des sottises.

Héraldine ne répliqua pas. Elle baissa les yeux, pensive et très stupéfaite. Une vague inquiétude en même temps pénétrait peu à peu dans son esprit.

— Donc, je garde pour moi tous les torts, continua l’Écossais qui avait paru reprendre un peu d’aplomb. Et que vous le veuillez ou non, je me sens forcé de vous demander pardon. Au reste, j’ai décidé de réparer ma conduite brutale envers vous. Je vous ai faite malheureuse, je veux…

Héraldine l’interrompit :

— Non, non, ne dites pas cela… j’ai toujours été heureuse.

— Admettons. Moi, je veux vous faire plus heureuse, si c’est possible.

Et la voix de MacSon trembla tellement à ces derniers mots, que la Métisse eut le vague pressentiment de ce que MacSon allait formuler.

Alors, elle se raidit, imposa à sa volonté un calme de roc, à son visage un masque d’insensibilité, et elle attendit.

Le fermier, tout au travail d’arranger les mots nécessaires pour exprimer sa pensée, ne soupçonna nullement qu’il était deviné. La figure tranquille d’Héraldine, ses regards candides, remontèrent le courage de l’Écossais.

Il reprit :

— Héraldine, je ne veux pas vous en imposer, je ne cherche pas à passer outre à votre volonté… je ne voudrais pas paraître trop osé… et je vous demande de ne pas me trop mal juger… Seulement, dans ma situation, que vous connaissez bien…

MacSon s’arrêta, hésitant. Il avait tellement de difficultés à formuler ses sentiments et ses idées, qu’il finissait par s’égarer et par ne plus se comprendre. Tout de même, par un effort énorme, il arriva au bout de son boniment :

— Oui, reprit-il, vous connaissez ma situation… et je veux vous dire que j’ai résolu de me remarier.

Par ces dernières paroles Héraldine se crut déroutée : MacSon, par crainte de ridicule, ne voulait pas exécuter une résolution de ce genre sans demander l’opinion d’autrui ; et il avait choisi Héraldine, sachant qu’elle garderait pour elle-même ce qu’il venait de lui confier. Qu’avait-elle donc pensé ou espéré, la pauvre fille ? Elle devait bien s’imaginer, eût-elle le moindre bon sens, que MacSon n’était pas homme à prendre pour femme une vulgaire servante, et encore moins une Métisse et une catholique ! Elle s’était bien sottement trompée ! Mais, aussi, les périphrases du début avaient paru avoir une telle signification pour elle… Mais elle voyait clair, maintenant : oui, MacSon voulait, simplement avoir son idée ! Or, l’idée d’Héraldine, tout à coup, la fit frémir et sema par tout son être une grande épouvante. Elle se sentit envahir par une soudaine faiblesse, à tel point qu’elle eut peur de s’évanouir. Et cette idée qui la renversait était celle-ci : si MacSon se remariait, il n’aurait plus besoin d’une servante ! France et Joubert auraient une belle-mère… une femme qui, peut-être, les rendrait malheureux ! Une Anglaise, peut-être, qui leur donnerait une éducation saxonne et protestante, et, peut-être encore, aucune éducation du tout !

Mais comme elle ne voyait dans le maintien et la physionomie du fermier rien qui pût justifier ses épouvantes, elle reprit un peu d’espoir. Mais elle voulut, en avoir le cœur net tout de suite, et elle demanda, tout anxieuse :

— Si vous vous remariez, vous n’aurez pas besoin d’une servante ?…

Avec ces paroles MacSon reçut au cœur une joie éperdue : il devina qu’Héraldine tremblait de se voir séparée des enfants. Il pensa, peut-être avec justesse, ceci :

— Héraldine, pour rester auprès des enfants, ne peut me refuser !

Et cette pensée l’enhardit. Il ébaucha un sourire d’assurance, fuma une seconde, et répondit :

— Il est vrai qu’en me remariant je n’aurai plus besoin d’une servante ; seulement, je n’ai pas dit que je vous renverrais.

Le sein d’Héraldine se souleva violemment, l’espoir et la crainte se disputaient sa pensée. Elle avait donc bien compris, en premier lieu, les projets du fermier. À moins que MacSon se plût à se moquer d’elle ! Qu’est-ce que tout cela signifiait au juste ? MacSon devina l’embarras de sa pensée et le mystère autour