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LA MÉTISSE

— Ah ! ah ! sourit MacSon.

— Et vous ne savez pas comment c’est venu cette idée-là ?

Hansen ricanait toujours et, sans qu’il parût s’en apercevoir, il ne tutoyait plus le fermier écossais.

— Non, répondit MacSon dont la curiosité s’éveillait.

— Il a entendu parler que Lorrain voulait épouser votre fille… Ça lui a fait un coup dans l’estomac. Quoi ! s’est-il écrié, marier une si bonne fille à ce rustre de Français, à ce catholique forcené !… Alors il n’a plus voulu entendre parler de ça…

— Et qu’est-ce qui est arrivé ? demanda MacSon d’un accent bénévole.

— Il n’est arrivé rien encore, répondit Hansen qui cherchait à se donner un aplomb formidable avant d’aborder la dernière de ses nombreuses périphrases. Mais c’est à la minute toute proche d’arriver et c’est justement là, qu’on aura besoin de votre aide.

— Tu veux dire mon consentement ? se mit à rire MacSon qui devinait la manœuvre de son interlocuteur.

Celui-ci crut sage et de bonne tactique de modeler un rire énorme sur le rire de MacSon.

Et ce dernier reprit aussitôt, très bonhomme :

— Eh bien ! sans connaître le prétendant en question, et me reposant sur la connaissance parfaite que tu as de cet ami, mon consentement est acquis.

— Non… pas si vite que ça ! s’écria Hansen, qui commençait à croire à une plaisanterie de l’Écossais.

— Allons, Hansen, tu n’as pas l’air bien pressé de m’appeler beau-papa !

Et avec ces paroles qui jetèrent l’effarement dans l’esprit cauteleux du Suédois, MacSon lui posait lourdement une main sur l’épaule et partait d’un énorme éclat de rire.

— Ah ! ah ! Hansen, tu ne t’attendais pas de me trouver aussi perspicace !

Troublé, perdant contenance, et ne sachant trop comment interpréter l’hilarité de son patron, Hansen demanda :

— Eh bien ! est-ce que vous riez pour tout de bon ?

— Comment ! si je ris pour tout de bon ? Mais, mon cher, rien de plus gai que de me dire qu’on va faire en un jour une double noce : moi avec Héraldine, toi avec Esther !

— Ainsi, vous consentiriez…

— Ah ça ! ne te l’ai-je pas donné mon consentement ?

Et MacSon riait de plus en plus.

L’autre, doutant en dépit des assertions de MacSon, demeurait perplexe, incertain.

— Tu ne comprends pas, je gage, pourquoi je ris tant que ça, poursuivit MacSon. Je vais te le dire : c’est le nez que fera Lorrain en apprenant que ma fille est mariée à Monsieur Hansen !

— Alors, c’est vrai, c’est décidé…

— Quand je te le dis, tête de bois. Et pour te le prouver nettement, je paye un coup pour arroser nos prochaines noces.

— Et MacSon, pour appeler le débitant de whiskey frappa un grand coup de poing sur la table.


XXII


Ce soir-là MacSon retourna seul à la ferme. Ou mieux, il rentra chez lui vers la fin de l’après-midi, ayant laissé son « futur gendre » ivre-mort dans un hôtel.

Malgré un fort bon nombre de consommations, l’Écossais gardait toute sa raison ; et, pour ne pas paraître avoir bu, il s’efforçait de guider ses paroles et ses gestes avec le naturel ordinaire.

Il fit son « train », comme on dit, et par extraordinaire, avec une complaisance qui étonna Héraldine et Esther, le fermier tira les vaches.

Ce dimanche soir, le souper fut joyeux. L’Écossais raconta des histoires de son temps, et il narra très mal certaines légendes des clans écossais. Il eut des attentions pour Héraldine, dos regards de tendresse pour Esther, des caresses pour France et Joubert qui n’en revenaient pas. Après le repas, il attira Joubert sur ses genoux, puis France, qui à contrecœur se laissèrent faire tous deux, gênés, sans mot dire. Et MacSon, ayant fouillé ses poches, trouva des bonbons qu’il offrit aux petits. C’était un revirement si soudain chez cet homme, que, loin de se réjouir, Héraldine eut peur. Ce calme étrange de MacSon lui faisait appréhender un orage prochain. Cette paternelle tendresse qui se révélait si inopinément lui fit présager un malheur. Et, chose plus stupéfiante encore, lorsque le couvert fut enlevé et que la Métisse eut terminé sa besogne du soir, MacSon dit aux deux enfants sur un ton doux et bienveillant, qui contrastait si étrangement avec ses façons rudes d’avant :

— À présent, petits, montez faire « vos prières » et vous coucher !

Héraldine, n’en pouvant croire son entendement, regarda le fermier avec stupéfaction. Lui, sourit avec bonhomie. Quant à France et Joubert, ne comprenant rien à tout cela, ne sachant à quoi attribuer cette conduite mystérieuse de leur père, regardèrent tour à tour l’Écossais et la Métisse, et, silencieux, troublés suivirent la servante à l’étage supérieur.

Mais avant qu’Héraldine n’eût disparu dans l’escalier, MacSon, avec un accent peu rassuré, demanda :

— Vous ne vous couchez pas de suite, Héraldine ?

— Non… pas de suite… balbutia-t-elle dans son étonnement.

— En ce cas, reprit le fermier, quand les enfants dormiront, redescendez : j’ai besoin de vous parler.

— C’est bien, je descendrai.

Et la Métisse, songeuse, effrayée presque, monta lentement l’escalier.

Une demi-heure après MacSon l’entendit revenir, et en même temps il put entendre Esther qui, dans sa chambre, fredonnait.

— Bon ! pensa MacSon, pourvu qu’elle continue de chanter ainsi pour un quart d’heure encore !

Car le fermier ne désirait nullement qu’Esther entendit ce qu’il avait à confier à la Métisse.

C’est avec un sourire du meilleur accueil qu’il reçut Héraldine et en lui indiquant un