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LA MÉTISSE

MacSon regarda sa fille d’un air soupçonneux. Et le visage altéré d’Esther lui fit penser que les suggestions de Hansen étaient basées sur des faits authentiques, il gronda :

— Esther, je veux savoir la vérité.

La jeune fille tressaillit, ses joues s’empourprèrent vivement, une flamme de colère brilla dans ses regards moins timides. Désignant le Suédois qui ne savait comment garder une contenance, elle jeta ces trois mots avec mépris :

— Cet homme ment !

MacSon laissa peser sur Hansen un regard terrible. Ce regard semblait dire :

— Si tu mens, gare à toi !

Hansen vit le regard et comprit la menace. Cette menace fit sourdre en lui une rage soudaine. Un moment, les deux amis de l’instant d’avant se mesurèrent d’un regard chargé d’éclairs et de défi. Mais la mine plus redoutable du fermier parut en imposer à l’autre. Il retraita, refoula sa fureur, ravala les mots insultants qui allaient faire éclater la foudre. Il essaya un sourire indifférent et dit :

— Si j’ai menti, c’est pas de ma faute. Je parle d’après ce qu’on rapporte au village.

— Et qu’est-ce qu’on rapporte ? interrogea sourdement MacSon.

— Eh bien ! on dit que Lorrain veut épouser votre fille.

À ces paroles à peines achevées l’Écossais bondit jusqu’à Esther qu’il venait de voir défaillir. Il lui entoura le cou de ses deux mains puissantes, et serra brutalement. Un spasme secoua la jeune fille. MacSon, rugissant, la face rouge, crispée, collée sur la figure livide d’Esther, demanda :

— Tu aimes Lorrain ?

— Vous m’étouffez ?… bégaya Esther qui cherchait à se déprendre de l’étreinte.

— Ah ! tu aimes ce français damné !

— Laissez-moi !… put encore murmurer faiblement Esther.

— Je veux savoir… hurla MacSon. Parle… parle vite, ou Dieu me damne…

Il s’interrompit pour desserrer un peu ses doigts.

— Chassez cet homme ! souffla Esther.

— Parle d’abord !

— Non… Oh ! papa… vous allez m’étouffer !

— Je t’étoufferai, si tu ne me dis pas tout ce que je veux savoir ! Tu me connais ! et il vaut…

Il s’interrompit de nouveau en voyant Héraldine qui, toute blanche dans sa longue robe de nuit, apparaissait tout à coup comme un fantôme. Livide, elle aussi, et tremblante, elle regarda Hansen qui, indifférent en apparence à la scène qui se passait sous ses yeux, mangeait et buvait.

Héraldine dressa vers l’étranger un index menaçant, tragique, et d’une voix profonde elle dit :

— Cet homme, monsieur MacSon, est un scélérat. Esther, vous le savez, est comme ma fille, et je réponds d’elle !

— Mais si ce qu’on dit au village… voulut répliquer le fermier.

— Laissez donc dire les gens. On ne peut pas arrêter les langues, de même qu’on ne peut arrêter le vent. Le monde fait des suppositions du fait qu’on a vu François Lorrain venir souvent à la ferme. Chacun, à sa façon, a interprété un voisinage bien ordinaire. Voilà tout.

Ces paroles et leur sincérité parurent satisfaire MacSon. Il abandonna Esther qui s’enfuit, pleurante, et revint sans mot dire s’asseoir à table. Héraldine, sans plus, remonta à sa chambre. Quant à Hansen, il ne souffla mot ; mais un sourire mauvais semblait dire :

— Tout ça n’est pas fini… j’aurai mon tour !


XXI


Malgré le sincère témoignage d’Héraldine, un doute persistait dans l’esprit de MacSon. Il se promit de prendre des informations. Puis, se remémorant l’époque si peu lointaine où Lorrain venait régulièrement à la ferme, les attentions empressées du Français pour Esther, le fermier pensa qu’il y avait certainement quelque chose qu’on lui cachait. Et depuis qu’il s’était aperçu d’un rapprochement et d’une sorte d’amitié entre Esther et la Métisse, il s’imaginait à présent qu’il y avait entre les deux femmes complicité.

— J’aurai l’œil, se dit-il ; et si le maudit Français veut s’imposer, malheur à lui !

En effet, après inquisitions, l’Écossais apprit les rumeurs qui, jusqu’à ces deux derniers mois, avaient circulé relativement à un mariage prochain entre Lorrain et Esther.

De ce moment, le mépris de MacSon pour François Lorrain se changea en une haine féroce et mortelle. Déjà il regrettait de n’avoir pas mieux tiré sa balle de revolver. Il oubliait la générosité de sa victime qui n’avait pas voulu porter plainte. Il oubliait que la justice des hommes pouvait lui demander un compte très dur de cet attentat à la vie d’autrui. Mais dans cette brute humaine il n’existait aucun sentiment durable de l’âme ou du cœur. Il est même douteux que ce père aimât ses enfants. Par ci, par là, il pouvait peut-être avoir une sorte d’inclination à la tendresse paternelle ; mais c’était passager. Il pouvait lui arriver de flatter ses enfants, comme il flattait ses bêtes, mais c’était pour mieux les frapper à coups de pied.

Pourtant, sur ces entrefaites, MacSon ressentit au dedans de lui-même une chose inconnue de son être, un symptôme inouï, un sentiment bizarre, mais peut-être fallacieux : l’amour !

Au fait, comment l’amour pouvait-il entrer dans le cœur de cet homme qui ne s’aimait pas lui-même !

Hansen connaissait les informations recueillies par l’Écossais sur les bruits de mariage entre Lorrain et Esther. Et ayant vu ses dires collaborés par une foule de gens bien connus du fermier, il en avait profité pour se donner une certaine importance auprès de son patron, et se faire valoir plus qu’il ne valait.

Dans la matinée d’un dimanche, les deux hommes s’étaient rendus au village, chez un individu qui faisait le commerce clandestin des boissons alcooliques.

En une petite chambre où ils se trouvaient seuls, les deux amis se mirent à boire et, naturellement, à parler femmes.

MacSon avait dit :