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LA MÉTISSE

prochent et s’unissent. Héraldine et les deux enfants de MacSon devenaient inséparables. Et la Métisse, aimant ces enfants, aima tout ce qui les touchait de près ou de loin, tout ce qui les environnait, et elle aima avec une tendresse passionnée. Elle répéta aux petits :

— Je vous servirai de mère !…

* * *

Mais en ce jour, mère douloureuse, ne pouvant extraire de sa pensée la scène pénible de l’instant d’avant, elle travaille distraite, découragée, et son teint sombre s’assombrit davantage.

« Non… il n’est pas possible de vivre plus longtemps avec un maître injuste, aussi brutal, aussi méchant !… Partir !… »

C’est vrai… elle peut partir… chercher ailleurs le travail dont elle a besoin pour vivre ! C’est facile : elle connaît justement deux ou trois fermiers d’excellente réputation qui demandent une domestique !… Mais partir… Oh ! cette idée seule la fait frémir, pauvre Métisse ! Pour elle, partir c’est quitter les deux chers petits, les abandonner sans défense, impuissants, à un père sans principes, à une sœur consanguine et indifférente. Ce sont deux petits français qui seront bientôt noyés dans les flots de la population étrangère ; ce sont deux petits catholiques dont on fera bien vite des renégats, des êtres sans foi, sans loi peut-être, et qui seront voués au hasard des caprices de l’existence !… Non ! Non !… Héraldine restera ! Elle restera quand même… Plus tard, lorsqu’elle sera bien sûre que ses deux petits pourront, sans danger, entreprendre la voie qui les conduira à leur carrière respective, quand les obstacles prévus et redoutés auront été nivelés, oui, alors, s’il le faut, elle pourra partir !

— Je ne les abandonnerai pas à présent, se répétait Héraldine, je ne veux pas, je ne peux pas !

Puis, sous un afflux de pensées incertaines, les traits de sa figure se crispaient avec une sorte d’énergie sauvage, et l’on eût pu voir sur son front bombé ce trait d’énergie souligner l’accent de la volonté.

Elle arrêta un moment sa besogne pour écouter les deux petites voix mutines qui se disputaient dehors.

— France, je vais le dire à Didine !…

— C’est moi ; Joubert, qui le dirai à maman Didine !…

— Non… c’est moi ; et elle va te gronder !

— J’ai pas peur… quand elle saura la vérité !…

Les petites voix aigres-douces s’échauffaient ce qui arrivait souvent, du reste, — elles éclataient presque.

Héraldine s’approcha d’une fenêtre, entr’ouverte, se pencha, contempla les deux petits sous les arbres pleins de chants divers et remués par la brise, et elle sourit… Alors, sa figure cuivrée parut s’éclairer, resplendir… ses yeux noirs reflétèrent une joie inconnue, mystérieuse, surnaturelle…


VII


Cette journée pour la Métisse fut tranquille, sereine.

MacSon était parti pour Bremner, le village voisin situé à une dizaine de milles de là ; il n’avait pas reparu pour le repas du midi.

On était à cette époque où les cultivateurs, après les durs labeurs des semailles, prennent un peu de repos.

Quelques jours auparavant MacSon avait congédié l’employé dont il avait requis les services pour l’ensemencement de ses champs.

Plus tard, quand viendra la saison des récoltes, il verra à se procurer une nouvelle main-d’œuvre, réalisant de la sorte une sérieuse économie sur les revenus de la ferme. Or, ces jours-là, Héraldine demeurait seule et tranquille avec les enfants et la fille de MacSon, Esther qui, la plupart du temps, demeurait en sa chambre s’occupant de tels travaux de broderie, à telles lectures.

À six heures de ce jour, c’est-à-dire au souper, le fermier n’était pas rentré.

Héraldine alla au pré chercher les vaches, tira le lait, donna à boire aux animaux, soigna les volailles, puis renvoya les bestiaux au pâturage. Bien que cette besogne ne fit pas partie de ses fonctions, elle ne manquait jamais d’y donner ses peines, parce que, souventes fois, MacSon ne rentrait que tard dans la nuit. Il faut ajouter, pour raison additionnelle, que tout ce qui avait un rapport quelconque avec la ferme revêtait pour Héraldine un caractère sacré, par ce que, aussi, tout se rattachait aux deux petits dont elle avait la charge : au fond, c’était leur bien qu’elle surveillait. Ces jours où la Métisse avait quelque travail à faire au dehors, Esther avait la complaisance de descendre de sa chambre et de s’occuper un peu des soins du ménage et de préparer le repas du soir.

Ce repas était toujours très calme. Esther parlait peu. Elle mangeait à la hâte, disait en son mauvais français quelques banalités à France et à Joubert, et remontait à sa chambre. Certains soirs, elle faisait quelques lectures sous les arbres du parterre. Ces lectures n’étaient le plus souvent que les récits incongrus de magazines américains apportés du village par MacSon.

Après le repas, France et Joubert, très fatigués par leurs courses de la journée faites çà et là sur l’étendue de la ferme, babillaient quelques instants, puis demandaient qu’Héraldine allât les coucher.

Ceci était à peu près la routine de tous les jours.

La servante et les enfants occupaient en haut une même chambre, qui se trouvait placée en face de celle d’Esther. Une troisième chambre demeurait pour les visiteurs. Quant à MacSon, il couchait en bas dans une petite chambre attenante à la salle.

Ce soir-là, contre leur coutume, France et Joubert ne demandèrent pas à Héraldine de les aller coucher. Ils s’amusaient à courir par la maison, pendant qu’Héraldine faisait son ménage du soir.

Le soleil resplendissait encore au-dessus de l’horizon, déversant sur les blés verts, des flots de vapeur rouge. La tige tendre des grains