Page:Féron - La fin d'un traître, 1930.djvu/44

Cette page a été validée par deux contributeurs.
42
LA FIN D’UN TRAÎTRE

aimé vivre dans cette maison et près de ces deux êtres dont la présence lui paraissait désormais indispensable pour égayer les jours qui lui resteraient à vivre.

Lorsque Flandrin fut parti, Louison s’assit sur les genoux de sa mère, entoura son cou de ses deux bras, et ses lèvres sur les lèvres de la jeune femme, il demanda, craintif et en hésitant :

— Maman… si je demandais au capitaine de venir rester avec nous, que diriez-vous ?

La jeune femme ne devina pas la pensée du collégien. Elle répondit :

— Pourquoi me poses-tu une telle question ? Tu sais bien que le capitaine ne peut pas venir habiter avec nous, la chose ne serait pas convenable.

— Oui, je sais bien, maman. Mais si… le capitaine devenait mon papa pour tout de bon ?

— Que veux-tu dire, mon chéri ? fit la jeune femme qui se sentit soudain toute troublée.

— Je veux dire… s’il devenait votre mari ?…

Sévérine tressaillit longuement, pressa son enfant contre elle et l’embrassa en demandant dans un souffle :

— Quoi ! le voudrais-tu ?

— Si vous le vouliez aussi… Car le capitaine vous aime… Et moi je serais encore plus heureux.

— Mon cher enfant, balbutia la jeune femme, nous penserons à cela plus tard. Le capitaine Flandrin est encore trop sous le coup de son deuil. S’il m’aime comme tu dis, il est possible que ton désir se réalise un jour.

— Oui, mais il faut que vous aimiez vous aussi le capitaine, dit naïvement l’adolescent.

— J’aime, mon enfant, tous ceux que tu aimes !

— Ah ! ma bonne maman… quel plaisir vous me faites !

Une longue étreinte termina cet entretien.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Retiré dans sa chambre au château, Flandrin pleura tout le reste de la nuit.

Le lendemain, le Comte de Frontenac le fit mander pour lui confier une mission à Ville-Marie. Flandrin parut devant son maître avec un visage fatigué et des yeux tout rougis.

— Ah ! ah ! dit le Comte, je vois que tu as pleuré Capitaine Flandrin. Est-ce toujours le souvenir de ta Chouette ?

— Un peu, Excellence, car je ne l’oublierai jamais ma Chouette. Mais hier soir… ah ! Excellence, j’ai revu mon Louison… je l’ai revu avec sa mère, sa belle et bonne mère. Et savez-vous ce qu’il a fait ? Il est venu à moi les bras tendus et il m’a embrassé en m’appelant comme toujours son papa. Eh bien ! monsieur le Comte, j’ai pleuré de joie et d’attendrissement… j’ai pleuré presque toute la nuit, sang-de-bœuf !

Le Comte garda le silence un moment. Puis :

— Flandrin, veux-tu savoir ce que je pense ?

— Excellence, si vous daignez me le dire…

— Je pense, mon ami, que la mère de Louison te ferait une femme tout aussi bonne que ta Chouette.

— Oh ! monsieur le Comte, voulut protester Flandrin en rougissant de plaisir, je ne saurais douter de la bonté de cette belle jeune femme. Mais moi… devenir son mari… Mais c’est impossible !

— Pourquoi ?

— Mais vous devez bien vous imaginer, Excellence, que la fille de Maître Jean ne saurait unir son sort à celui du pauvre Flandrin Pinchot que je suis.

— Tu te trompes, Flandrin. Sévérine se donnerait volontiers à toi comme ta femme, parce qu’elle t’estime, parce qu’elle t’aime, et parce que aussi, Louison serait content que tu sois le mari de sa mère, et c’est lui-même qui m’a confié ses secrets désirs, un jour qu’il était venu te rendre visite.

— Excellence ! Excellence ! cria le pauvre Flandrin troublé, éperdu… mais éperdu de joie à cette splendide perspective de se voir un jour le mari de la fille de Maître Jean…

— C’est bien, mon ami, interrompit le Comte, En attendant que toutes choses s’arrangent pour la plus grande joie de tout le monde, il faut te rendre à Ville-Marie. À ton retour, une bonne surprise t’attendra peut-être.

Et il congédia Flandrin.

Et lui, Flandrin, pria Dieu que le beau rêve entrevu se réalisât…

XIII

DU RÊVE À LA RÉALITÉ…


Le printemps était revenu.

Aux derniers jours d’avril parut dans la rade de Québec le premier navire de la saison arrivant de France.

Ce navire avait été attendu avec impatience, d’abord, par les commerçants ; ensuite, par Monsieur de Laval, les gens de son parti et, surtout, par le prisonnier du Château Saint-Louis. Celui-ci espérait que le roi allait donner ordre au Comte de Frontenac de le relâcher ; et Monseigneur de Laval comptait fort que le roi allait rappeler le Comte en France.

Rien de tel n’arriva.

On sait que le bruit avait couru l’automne précédent que l’évêque avait obtenu du roi le rappel de Frontenac, et c’est pourquoi le père Bousquet, ce tavernier de la basse-ville, avait déclaré au mendiant Brimbalon « que Son Excellence avait reçu ordre de préparer ses paquets pour le printemps suivant ». On peut juger du désappointement des ennemis du Comte, car loin de rappeler ce dernier, le conseil des ministres le maintenait à son poste et approuvait tous les actes de son administration.

Il va sans dire que Flandrin Pinchot avait eu vent des rumeurs qui avaient circulé sur le départ prochain du Comte de Frontenac, aussi jubilait-il de savoir que le Comte demeurait à la tête du pays. Flandrin savait bien que le départ du Comte entraînerait la perte de sa place.

Disons que Flandrin, sans avoir oublié sa femme, sentait son deuil s’alléger peu à peu au bout de ces quatre mois. Au reste, il avait pour le consoler et lui faire aimer la vie Louison et sa mère. Il allait très souvent faire une courte visite à la petite maison de la rue du