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LA FIN D’UN TRAÎTRE

Elle sanglotait, pleurait, embrassait son enfant…

Mais l’homme un peu plus loin s’agite toujours dans la neige qui couvre la plateforme du gibet.

— Et cet homme… qui est cet homme ? interroge l’adolescent.

— Ah ! oui, je l’oubliais, le monstre… gronde Sévérine.

Elle se lève d’un bond et court auprès de celui que l’écolier a abattu.

Elle se penche. Ses yeux rencontrent ceux de l’homme, et, narquoise, elle demande :

— Voyons ! Le Chêneau, es-tu content de ta vengeance ?

Mais lui ne la regarde plus… ses yeux hagards se fixent comme avec une stupeur infinie sur Louison qui vient de s’approcher avec son pistolet à la main. Sévérine se tourne vers l’adolescent et dit :

— Approche encore et regarde bien ce misérable !

Louison se penche au-dessus de l’homme. Lui, fait un mouvement brusque, s’appuyant sur ses deux coudes il soulève son buste à demi, et d’une bouche tordue par la souffrance, d’une bouche qui vomit du sang, il balbutie assez distinctement :

— Oui, regarde-moi, malheureux… tu as tué ton père !…

Et il s’affaisse, gémit, se tord, gigote… Mais il ne se relèvera plus.

Louison est atterré.

Mais Sévérine est contente, elle exulte…

— Souviens-toi, Le Chêneau, dit-elle, de cette nuit où mon pauvre père m’a arrachée de tes griffes sanguinaires et à la corde de ce même gibet ! Aujourd’hui, c’est mon fils qui me sauve… Oui, Le Chêneau, ajoute-t-elle dans un ricanement moqueur, c’est mon fils… c’est ton…

Elle se tait.

Le Chêneau est maintenant inerte. La jeune femme le secoue. Plus rien, pas un souffle de vie… ce n’est plus qu’un cadavre que recouvre peu à peu la neige de son linceul blanc.

Pourtant, Sévérine n’est pas méchante autant qu’elle peut en avoir l’air.

— Louis, dit-elle gravement à son enfant, vient prier. Cet homme a trépassé, et à cette minute précise où il paraît devant son Juge, il a peut-être besoin de nos prières.

L’écolier s’agenouilla machinalement. Il s’imaginait faire un rêve. Il ne pouvait encore admettre que ce drame affreux fût réel.

Après quelques minutes de recueillement, Sévérine se releva. L’écolier suivit son exemple. La jeune femme, à demi vêtue, grelottait maintenant de tous ses membres. Tant qu’elle avait été sous le coup de l’effroi et d’émotions de toutes sortes elle n’avait pas senti le froid ; mais à présent le vent pénétrait sa chair, la neige la glaçait. Dans sa bouche on entendait claquer ses dents. Elle avisa sur le bord de la plateforme le manteau de fourrure dont s’était débarrassé son mari pour travailler plus à l’aise. Elle s’en revêtit, puis, prenant Louison par une main, elle dit :

— Allons-nous-en, mon Louis…

Et elle l’entraîna, sans mot dire, vers la rue du Palais et vers sa maison. Machinalement encore, Louison la suivait. Parfois sa mère chancelait, trébuchait ; il l’aidait, la soutenait. La jeune femme haletait d’épuisement ; mais son énergie la maintenait debout.

On atteignit enfin la maison. Il était temps. À peine Sévérine eût-elle pénétré dans la salle tiède, qu’elle s’abattit lourdement sur le plancher.

Ce qui frappa d’abord les yeux de l’écolier, ce fut Mélie attachée à sa bergère et incapable de se mouvoir. Louison lui rendit en peu de temps la liberté. La pauvre Mélie avait l’air folle… Mais l’écolier lui montra la jeune femme évanouie. La servante, alors, retrouva l’usage de ses membres engourdis.

— Ah ! mon Dieu !… s’écria-t-elle avec affliction, qu’est-ce qui s’est donc passé !

Mais Louison était déjà accouru près de sa mère, et le temps n’était pas aux explications.

Aidé de Mélie il releva la jeune femme et la déposa sur un tête-à-tête. Puis la servante courut à la cuisine pour préparer une potion à l’eau-de-vie.

Sévérine reprit bientôt connaissance. Elle esquissa un sourire heureux en apercevant Louison près d’elle ; l’écolier la considérait d’un œil inquiet.

Elle l’attira dans ses bras et dit :

— Désormais, mon enfant, tu resteras avec moi. Vois-tu, je suis seule au monde, je n’ai plus que toi. Ton misérable père n’est plus et que son souvenir s’efface de nos mémoires.

— Après ce qui vient de se passer, ma bonne maman, répondit Louison en embrassant sa mère avec tendresse, je ne pourrais plus vous quitter. Et qui sait encore si d’autres méchants ne chercheront pas à vous faire du mal ? Je vous défendrai, maman…

— Louis… mon Louison… cria la jeune femme en pleurant de joie, tu ne saurais comprendre combien tu me rends heureuse ! Tu m’ouvres le ciel, après l’horrible enfer où j’ai tant pâti. Oh ! sois béni, mon cher enfant…

Longtemps, la mère et l’enfant demeurèrent dans les bras l’un de l’autre.

Une aube nouvelle se levait pour eux…

XII

NOUVEAU DEUIL


Comme on s’en doute, personne n’avait eu connaissance du drame qui s’était brièvement déroulé à la potence de la rue Sault-au-Matelot.

La nuit n’était pas encore bien avancée, lorsque Louison, sur les conseils de sa mère et en compagnie de la servante, se rendit au Château-Saint-Louis pour informer le Comte de Frontenac et Flandrin de ce qui s’était passé.

Le vent soufflait moins fort, la neige avait cessé de tomber et, de temps à autre, par une déchirure des nuages la lune glissait un pâle rayon sur la terre.

Le Comte ordonna à Flandrin de faire disparaître le cadavre de Le Chêneau. Flandrin se rendit aussitôt à cet ordre. Au moyen du traîneau et du cheval dont s’était servi Le Chê-