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LA FIN D’UN TRAÎTRE

blessure à la tête… Et le sang coule aussi sur son front pâle, sur ses joues, sur sa petite soutanelle noire… du sang qui l’inonde !

C’est vrai… Un paysan tout à l’heure, comme Louison faisait son chemin, un paysan qui ne connaissait pas l’écolier, lui avait asséné sur la tête un coup de rondin. L’enfant, dans l’action, le mouvement, la chaleur du combat, n’avait pas ou peu senti le coup. Mais là, dans le calme et le repos, le mal se faisait sentir… Il voulut résister, demeurer debout et braver tant que la populace ne se serait pas dispersée. Mais la perte du sang, la fatigue, le mal aussi furent plus forts que sa volonté, et, soudain, sans une plainte, il s’écrasa doucement aux pieds de Flandrin Pinchot qui paraissait pétrifié dans son étonnement.

Mais en voyant tomber l’adolescent, Flandrin sort de sa torpeur. Il pousse un cri, se baisse et relève l’enfant. Mais il est inanimé… Flandrin le prend dans ses bras et d’yeux inquiets il cherche un endroit où il pourra conduire son fils adoptif pour le soigner, pour panser sa blessure. À ce moment, une femme se fait jour à travers la masse du peuple, elle arrive à Flandrin, elle chancelle et halette… Mais elle peut crier :

— Flandrin… Flandrin Pinchot… donne-moi mon enfant, je le soignerai.

Pinchot reconnaît celle qu’il appelle toujours « la fille de Maître Jean ».

— Je suis sa mère, dit encore la jeune femme d’une voix suppliante… donne-le moi… moi seule pourrai le panser et le soigner !

Et Flandrin le lui donne… Peut-il faire autrement ?…

La jeune femme embrasse d’abord le petit blessé avec une tendresse indicible. Elle pose ses lèvres sur ce sang qui coule de la jolie tête blonde, car ce sang-là est le sien. Puis elle presse le petit corps inanimé avec amour. Mais il faut le panser, le soigner au plus tôt… Alors, elle s’élance, elle court vers sa maison qui n’est pas loin. Mais elle est déjà fatiguée, et ce corps est plus pesant qu’elle a pensé. Atteindra-t-elle sa maison ?… Oui, la volonté, l’énergie et surtout l’amour maternel lui donneront les forces nécessaires, ils la soutiendront

Et la populace devant cette scène demeure silencieuse et s’attendrit au point qu’elle versera bientôt des larmes.

Quant à Flandrin, épuisé, déchiré et couvert de poussière, il rassemble ses gardes éclopés pour la plupart et reprend le chemin du Château Saint-Louis où il rendra compte à Son Excellence le Comte de Frontenac.

Tout compte fait, le peuple demeurait victorieux ; il put tenir marché sans être dérangé par les émissaires de l’intendant, lequel se garda bien de donner suite à son édit impopulaire.

Dans son Château, Frontenac se frottait les mains de satisfaction.

VI

LE PETIT BLESSÉ


Peu après l’émeute, et lorsque le calme eut été tout à fait rétabli, on put voir le mendiant Brimbalon traverser les groupes de paysans et d’ouvriers en train de commenter l’affaire, et gagner comme en sourdine la maison de Sévérine Cotonnier. Il s’était tenu éloigné de la mêlée, et il avait assisté au spectacle de l’air le plus indifférent du monde. Néanmoins, il s’était ému une fois, lorsqu’il avait vu Louison se saisir de la rapière d’un garde qui, grièvement blessé, gisait sur le sol. Puis, son émotion s’était transformée en admiration en voyant l’adolescent se tailler une large voie dans la tourbe et aller au secours de son père adoptif.

Enfin, il avait vu Sévérine emporter le petit blessé.

— Bon ! bon ! s’était-il dit, elle va finir par le ravoir son enfant, même si la Chouette s’entête à le vouloir garder pour elle seule. C’est une bonne chance pour la belle Sévérine que la Chouette n’ait pas eu l’idée de venir voir ce qui se passait ici !

Le mendiant se dirigea donc d’un pas alerte vers la maison de Sévérine. Là, il heurta d’une main quasi impatiente le marteau de la porte. Mélie accourut, toute pâle, toute tremblante et inquiète.

— Entrez, père Brimbalon… Ah ! s’en passe-t-il, des fois, des choses terribles ?…

— Oui, oui, dame Mélie. Mais tout ça, c’est le bon Dieu qui le veut ainsi. Car il y aura sur terre toujours des bonnes gens à éprouver, et des méchants à punir.

— Si, plus souvent au moins, les bons étaient récompensés…

— Faut pas se plaindre, dame Mélie, chacun a son lot de misères ou de bonheur. Mais, dites-moi au plus tôt… le petit Louison… ?

— Ah ! le pauvre enfant… Savez-vous qu’on a failli le tuer ?

— Est-ce bien grave ?

— Je ne pense pas. Sa mère l’a couché sur son lit… Désirez-vous le voir ?

— Pardi ! Je suis venu rien que pour ça.

— Venez. Ah ! tout de même, le pauvre enfant… le pauvre enfant, larmoya la servante.

Celle-ci conduisit le mendiant dans la chambre à coucher de sa maîtresse.

Louison reposait doucement. Sévérine avait lavé la blessure, puis l’avait pansée avec un linge blanc que Mélie, au préalable, avait enduit d’un baume ou onguent que les sauvages avaient inventé et qu’on disait le meilleur des cicatrisants et qui était en même temps un aseptique.

Le mendiant pénétra dans la chambre sur la pointe des pieds.

Sévérine lui sourit.

— Il est mieux, le pauvre petit ! souffla-t-elle. Les yeux de la jeune femme rayonnaient de joie et de bonheur, et elle ne cessait de contempler son bel enfant.

— Alors, ce n’était pas bien grave ? dit le mendiant avec intérêt.

— Non, Dieu merci ! père Brimbalon. Un coup de rondin, je pense, qui a entamé le cuir chevelu. Oh ! mais je le soignerai si bien qu’il en reviendra bientôt.

De temps en temps, elle se penchait et posait doucement ses lèvres sur le front blême du blessé.

Quoique l’écolier eût les yeux fermés, il n’était pas inconscient, il ne dormait pas non plus ; et