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LA FIN D’UN TRAÎTRE

nieuse. Sa femme d’abord, l’instigatrice du complot. Le Comte de Frontenac, ensuite, qui présida le tribunal de justice. Puis, le bourreau chargé de l’exécution et, enfin, Flandrin Pinchot qui fut son geôlier et qui prêta son aide au bourreau. Il y avait aussi Bizard, qui fit son arrestation, et l’intendant-royal qui en avait donné l’ordre. Mais ces deux derniers semblaient être réservés pour son dessert. Et voici où se présente la fatalité qui semble s’attacher à lui : lorsqu’il est sur le point de frapper, l’ennemi lui échappe. Si la malchance continue à le poursuivre avec autant de ténacité qu’il en met, lui, à poursuivre son œuvre de vengeance, réussira-t-il à m’ouvrir la voie de la liberté ?…

Comme on le voit, Perrot savait parfaitement à qui il avait affaire. Seulement, il n’était pas au fait de tous les antécédents de l’homme, lequel pouvait bien être le pire des criminels. Et quoiqu’il en éprouvât du dédain, il avait associé cet homme à ses menées contre le gouverneur-général et en avait fait son lieutenant de police. Mais, en réalité, il s’en était fait son agent-espion, tout comme la Comte de Frontenac avait les siens, et l’agent menait de front la cause du gouverneur de Ville-Marie et la sienne. Souvent les chefs d’État et les maîtres de la Justice ont choisi parmi les galériens les agents chargés de conduire leurs intrigues, ou de les débarrasser d’ennemis devenus trop dangereux ; ils se sont attaché ces hommes dont ils ont su nourrir le zèle et le dévouement par l’appât du gain ou par la crainte de retomber dans les bas-fonds ou dans les chaînes. D’un mot ou d’un geste Perrot pouvait, en effet, renvoyer son lieutenant de police à la potence de la rue Sault-au-Matelot. Non, il ne le ferait pas, parce que cet homme lui manifestait trop de zèle et de dévouement ; et, d’autre part, le remettre entre les mains du tribunal de Québec, serait faire trop grand plaisir au Comte de Frontenac. Or, comme on s’en doute bien, le sieur Perrot ne se sentait aucune disposition à faire des aménités au gouverneur-général. Sa haine contre ce dernier et la précaire position en laquelle il se trouvait l’engageaient à accepter, et sans la moindre répugnance, l’aide de son lieutenant de police, ce dernier fut-il la pire des canailles.

Aussi, dès le jour suivant, Perrot fit-il demander la faveur d’un entretien avec le Comte de Frontenac. Le Comte se rendit à la demande de son prisonnier, et il consentit à ce que Perrot fit venir son valet de chambre.

Trois semaines après, le valet de chambre se présentait au Château Saint-Louis et il était aussitôt introduit auprès de son maître. Il va de soi que le gouverneur de Ville-Marie ne s’attendait pas de voir paraître son véritable valet de chambre, mais son lieutenant de police déguisé comme tel. L’unique surprise que manifesta le sieur Perrot fut celle de ne pas reconnaître, sous la livrée du valet de chambre, son lieutenant de police. Celui-ci était méconnaissable et, par conséquent, il ne courait aucun danger d’être reconnu pour le sieur Basile Legrand, ancien musicien aux gages du Comte de Frontenac, ou pour l’ex-duc de Bonneterre, envoyé de Sa Majesté le roi Louis XIV.

Le lieutenant de police, mué en valet de chambre, apportait à Perrot une lettre de sa femme. Celle-ci l’informait que, avec l’aide et l’appui de leurs amis, elle travaillait sans relâche à le tirer des mains du Comte de Frontenac. Perrot, servi comme il était, pouvait donc se tranquilliser et attendre patiemment les événements ; il était sûr qu’on le remettrait en liberté un jour ou l’autre, et sa vie n’était nullement en danger. Seulement, lorsque Perrot entrevoyait le jour où il sortirait de sa prison, il sentait qu’il entreprendrait une terrible revanche contre Frontenac. Car sa haine croissait de jour en jour, elle le rongeait, l’obsédait, lui devenait un fardeau écrasant. Si Frontenac avait frappé le premier, lui frapperait le dernier, mais il frapperait un coup mortel. Aussi, avait-il grande hâte de voir arriver le jour où les portes de sa prison s’ouvriraient devant lui.

Mais les jours succédaient aux jours, les semaines aux semaines, les mois aux mois, et le sieur Perrot continuait de demeurer bien sagement le prisonnier de Son Excellence de Québec. Oh ! que de fiel de distillé durant ce long emprisonnement !… Que de projets élaborés pour se tirer du guêpier !… Monsieur de Laval avait dit à Perrot : « Mon ami, vous êtes venu vous jeter dans la gueule du loup ! »… Il avait dit l’exacte vérité, Perrot se trouvait bel et bien dans la gueule du loup, et le loup n’avait plus qu’à croquer. Non, Perrot devait se résigner, il ne sortirait pas de là. Frontenac, dont on connaissait le caractère, ne relâcherait son prisonnier que sur l’ordre exprès du roi de France. Et quand le roi donnerait-il cet ordre ?… Un an, deux ans, trois ans même pouvaient se passer avant que le roi prît une décision.

Une chose sûre et certaine : Perrot ne pouvait plus douter de la puissance du Comte de Frontenac, celui-ci était le plus fort et il demeurait maître du champ de bataille.

Voilà, succinctement, ce qui se passait au Château Saint-Louis depuis que le gouverneur de Ville-Marie y était prisonnier.

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Le jour même où le collégien, Louison, était introduit auprès de sa mère par le mendiant Brimbalon, le Comte de Frontenac trouvait dans son cabinet un mystérieux billet ainsi conçu :

« Il est probable que Son Excellence Monsieur le Comte de Frontenac ait l’esprit obsédé par un certain mystère… Si Monsieur le Comte désire en avoir la clef, il pourra se rendre à la petite maison de la rue du Palais, là où domiciliait, jadis, la belle Lucie de la Pécherolle. Une jeune femme, non moins belle et dont la tête est ornée des plus beaux cheveux noirs, le recevra. Là, si Monsieur le Comte possède un peu de pénétration, il reconnaîtra dans cette jeune femme, par la taille, les traits du visage, les yeux et la voix, celle qui fut son amante. Et pour que Monsieur le Comte ne soit pas contraint à des questions qui pourraient paraître indiscrètes de sa part, l’auteur de ces lignes veut avoir l’obligeance de fournir à